Cette année encore, Michelle et Barack Obama ont souhaité, lundi 26 décembre 2016, un « joyeux Kwanzaa » aux familles afro-américaines célébrant cette fête étalée sur sept jours et créée de toutes pièces il y a cinquante ans.

En cette période festive, le couple présidentiel offre ses vœux aux Américains de toutes les communautés. Après Noël et Hanoukka, voici Kwanzaa, qui s’installe doucement dans le calendrier national. Le tweet de la Maison Blanche est assez descriptif et pédagogique, manière de reconnaître que cette fête récente n’est pas encore connue de tous, y compris parmi les Afro-Américains. Un petit retour s’impose donc sur cette fête qui a tout pour déplaire à Donald Trump, le nouveau président élu, comme nous le verrons à la fin de cette chronique.

Cosmogonie africaine

Né en 1941 dans le Maryland, c’est en Californie que le futur historien et militant radical Maulana Karenga (né Ronald Everett) passe son adolescence. Très jeune, il rejoint les Blacks Panthers, puis s’en sépare pour former un mouvement concurrent à Los Angeles. C’est dans ces années de braise qu’il va inventer en 1966 Kwanzaa, une fête singulière destinée à promouvoir et à réenchanter les liens entre les Afro-Américains et le continent de leurs ancêtres. Il s’agit alors aussi de tourner le dos de facto au Noël des Blancs et aux églises complices de l’oppression de la communauté noire.

Kwanzaa se tient pendant la semaine du 26 décembre au 1er janvier et emprunte son nom et ses rites aux langues et aux cultures africaines. Le mot kwanzaa signifie en swahili « premiers fruits », mettant l’accent sur les libations et autres célébrations consécutives aux premières récoltes que les Africains observaient jadis sur une grande partie de l’Afrique, du contrefort abyssin jusqu’au cap de Bonne-Espérance.

Le chiffre 7 est la clef de voûte de Kwanzaa. Sept jours de festivités du 26 décembre au 1er janvier. Sept principes fondamentaux (nguzo saba en swahili) à intégrer dans sa conduite personnelle et à respecter tout au long de cette semaine et, pourquoi pas, tous les autres jours de l’année. Un bougeoir à sept branches appelé kinara pour symbole. Dissident des Black Panthers dont il partage l’essentiel du projet politique, Maulana Karenga expose les règles fondamentales de sa « philosophie communautaire panafricaine » déclinée en sept préceptes : umoja, l’unité ; kujichagulia, l’autosuffisance ; ujima, le travail et la responsabilité collective ; ujamaa, la coopération économique entre Noirs ; nia, la détermination ; kuumba, la créativité, et imani, la foi dans la communauté. Chaque jour, on allume une bougie et on médite la règle cardinale correspondante. Les couleurs des sept bougies (trois vertes et trois rouges séparées par une noire) renvoient à celles du drapeau panafricain de Marcus Garvey (1887-1940), le leader qui prônait, au début du XXe siècle, le retour au berceau africain.

Odeur de soufre et récupération

On a longtemps raillé le côté hétéroclite et volontariste de cette cérémonie. Mais c’est oublier un peu vite que les rites aujourd’hui ancrés dans notre culture ont connu des débuts difficiles. Avant d’être consacrée fête chrétienne commémorant la naissance de Jésus de Nazareth, Noël avait un caractère foncièrement païen et correspondait à peu près au solstice d’hiver.

Inventée par des militants afrocentristes, Kwanzaa sent le soufre dès son baptême. Pour ses adeptes, elle est tour à tour une arme miraculeuse, un moment de ressourcement et un projet d’émancipation. Pour ses adversaires, Kwanzaa est considérée comme une curiosité passagère. Force est de reconnaître que la postérité a donné tort à ces derniers.

Le rite païen et panafricain né en Californie poursuit son bonhomme de chemin. Certes Kwanzaa a perdu son tranchant politique, mais le contre-Noël de Maulana Karenga s’est fait sa place dans le calendrier festif. Adopté dès les années 1980 par la petite bourgeoise afro-américaine, porté par les voix de Stevie Wonder et des stars du hip-hop, légitimé par le président Bill Clinton, Kwanzaa n’effraie plus les publicitaires. En 1997, la poste américaine a commercialisé un timbre officiel la célébrant. Bien sûr, cet engouement n’a pas touché tout le monde. Dès 2011, un tribun nommé Donald Trump a accusé le président Barack Obama d’avoir sciemment oublié de souhaiter un joyeux Noël à ses concitoyens et de favoriser le Kwanzaa.

C’était un grossier mensonge, un de plus. Et tout porte à croire que l’an prochain, ce même Donald Trump, désormais 45e président des Etats-Unis, tournera le dos à la tradition œcuménique à l’œuvre au sommet de l’exécutif. Raison de plus pour souhaiter, dès aujourd’hui, à lui et à sa famille un joyeux Kwanzaa !

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).