Les auteurs de l’étude ont rassemblé les données de deux populations résidant dans la province canadienne de l’Ontario. | DAVE CHAN / AFP

Le fait de vivre à moins de 50 m d’une voie de circulation importante augmenterait de 7 % le risque de développer une démence. Le risque serait accru de 4 % pour un rayon de 50 à 100 m. C’est l’une des principales conclusions d’une étude menée par une équipe nord-américaine dont le premier auteur est le docteur Hong Chen (Public Health Ontario, Canada). Selon cette enquête qui a pris en compte les données d’une population de plus de 6 millions de résidents de l’Ontario sur une période de onze ans, entre 7 % et 11 % des cas de démence pourraient être attribués à un domicile situé à moins de 50 m d’un axe routier majeur. L’étude est publiée jeudi 5 janvier sur le site de la revue The Lancet.

Les chercheurs ont également trouvé une association entre la survenue d’une démence et une exposition à long terme à deux polluants liés au trafic routier bien connus, le dioxyde d’azote (NO2) et les particules fines (dont une bonne partie émane des gaz d’échappement, notamment ceux des moteurs diesel). Cependant, ces deux facteurs ne sauraient expliquer à eux seuls l’élévation du risque, selon le docteur Hong Chen et ses collègues.

Les chercheurs canadiens et américains auteurs de cette étude sont partis des préoccupations croissantes sur les possibilités que « les expositions associées au trafic routier telles que la pollution de l’air et le bruit contribuent aux maladies neurodégénératives ». Des recherches ont montré que les polluants atmosphériques et les gaz d’échappement des moteurs diesel induisent un stress oxydatif et une neuro-inflammation des cellules du cerveau constituant la première défense immunitaire active du système nerveux central.

250 000 cas de démence répertoriés

Quelques études épidémiologiques ont également trouvé un lien entre la pollution atmosphérique et sonore et le déclin cognitif, ainsi que l’augmentation de l’incidence des maladies d’Alzheimer et de Parkinson. L’exposition au trafic routier pourrait ainsi jouer un rôle dans plusieurs processus neurodégénératifs, soulignent les chercheurs canadiens et américains. D’autant que le trafic routier expose à de nombreux facteurs toxiques pouvant avoir des répercussions sanitaires : particules fines et ultrafines, dioxyde d’azote, hydrocarbures aromatiques polycycliques, métaux lourds, composés organiques volatils (tel le benzène)…

Dans son analyse, l’équipe nord-américaine s’est focalisée sur trois pathologies neurodégénératives : démence, maladie de Parkinson et sclérose en plaques. Hong Chen, Ray Copes (Public Health Ontario, Canada) et leurs collègues ont rassemblé les données de deux populations résidant dans la province canadienne de l’Ontario au 1er avril 2001 et indemnes des trois maladies : l’ensemble des personnes âgées de 20 à 50 ans (pour la partie concernant la sclérose en plaques, puisque c’est la tranche d’âge où cette maladie débute et se développe), soit 4,4 millions d’individus, et l’ensemble des adultes de 55 à 85 ans, soit 2,2 millions de personnes (pour les démences et la maladie de Parkinson).

La proximité du domicile avec un axe routier important a été déterminée pour chaque individu par le code postal de son lieu de résidence cinq ans avant le 1er avril 2001, date du début de la période étudiée, donc en 1996. Un indicateur relativement précis puisque, « dans l’Ontario, le code postal recouvre un périmètre qui peut être limité à trois pâtés de maisons, explique au Monde Hong Chen. Cela reste cependant un indicateur imparfait. Il ne renseigne pas sur les expositions sur le lieu de travail et les trajets domicile-travail. Néanmoins, il conduit plutôt à sous-estimer l’impact de la pollution qu’à la surestimer ». La moitié de la population étudiée vivait à moins de 200 m d’un axe routier.

Entre 2001 et 2012, un peu moins de 250 000 cas de démence, près de 32 000 cas de maladie de Parkinson et un peu plus de 9 000 individus atteints de sclérose en plaques ont été dénombrés dans la population étudiée, selon les bases de données administratives de la province. « La principale conclusion de notre étude est que nous avons trouvé une relation entre le trafic routier et la survenue d’une démence, mais pas avec la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques, ce qui laisse penser qu’il se passe quelque chose de différent dans le cas des démences, indique Ray Copes. De plus, il existe un gradient dans l’effet : plus quelqu’un vit à proximité des routes principales, plus il présente un risque élevé de démence. Nous avons ainsi trouvé une spécificité pour la démence et un phénomène évoquant une relation entre une dose croissante et un effet observé plus marqué. »

L’augmentation du risque pour les personnes les plus exposées car vivant dans un rayon de 50 m autour d’un grand axe routier apparaît faible (+ 7 %), « mais si cela n’est pas beaucoup à l’échelle individuelle, la population exposée est importante (20 % de la population étudiée vit dans la zone la plus à risque et les démences affectent déjà une population importante (plus de 10 % des 75-84 ans). Des millions de personnes sont concernées par ce phénomène », souligne Ray Copes.

Limites

« La difficulté est que le fait de vivre à proximité de grands axes routiers est associé à énormément de caractéristiques sociales, professionnelles, nutritionnelles, éducatives, etc. Au sein de ces facteurs, qu’est-ce qui crée un complexe éventuellement causal ? », s’interroge le professeur William Dab (épidémiologiste, Conservatoire national des arts et métiers, Paris).

Les auteurs ont démontré une association entre une exposition au dioxyde d’azote et aux particules fines et la survenue d’une démence. Si l’on ne tient pas compte de l’influence de ces deux polluants, l’impact de la proximité du domicile sur le risque de démence est diminué, « ce qui suggère que l’effet de l’exposition au trafic des véhicules agit, au moins en partie, par le biais de ce mécanisme », écrivent-ils.

Ils reconnaissent certaines limites à leur travail : « Nous n’avions pas accès à toutes les données sur les habitudes et comportement de cette population, sur le tabagisme, la prise de médicaments… Aucune étude épidémiologique n’est parfaite. Néanmoins, nos résultats demeuraient inchangés en tenant compte des autres facteurs de risque pour la démence. Notre étude nous paraît donc assez convaincante », plaide Hong Chen.

« L’association est robuste, mais il est prématuré de tirer une conclusion définitive. Cette étude soulève une hypothèse. Il convient maintenant de la tester », estime le professeur Dab.