La présidente taïwanaise s’envole pour une tournée de neuf jours en Amérique. Tsai Ing-wen se rendra au Honduras, au Nicaragua, au Guatemala et au Salvador, quatre des 21 Etats qui reconnaissent Taïwan et non la République populaire de Chine. A l’aller et au retour, elle s’arrêtera aux Etats-Unis et ces deux escales seront scrutées de près. Elle est attendue à Houston samedi 7 janvier puis transitera par San Francisco le 13 janvier et pourrait y être reçue par des représentants du Congrès.

Depuis la visite en Chine populaire du président Richard Nixon en 1972, les Etats-Unis se sont pliés à l’exigence de ne reconnaître qu’une seule Chine. L’établissement de relations diplomatiques avec Pékin a été finalisé en 1979.

Washington n’a plus qu’un « Institut américain » et non une ambassade à Taipei mais s’est, en échange, engagé par un texte de loi à défendre Taïwan en cas d’attaque du continent et maintient avec l’île des liens culturels et politiques étroits. Tout contact direct au niveau des chefs d’Etat a cependant été évité depuis, pour maintenir le complexe équilibre diplomatique entre la Chine et les Etats-Unis.

Rupture avec les usages en vigueur

Le président élu Donald Trump a rompu avec cet usage en acceptant, vendredi 2 décembre 2016, un appel de félicitations de Mme Tsai, suite à son élection. Puis il a ajouté à la colère de la République populaire de Chine par un tweet qui semblait piétiner l’usage qui a prévalu pendant plus de quatre décennies :

« Intéressant comme les Etats-Unis vendent pour des milliards de dollars d’équipement militaire mais je ne devrais pas accepter un appel de félicitations. »

La Chine a vivement protesté suite à cet échange téléphonique qui, loin d’être une maladresse ponctuelle, était anticipé, selon la presse américaine. Un ancien sénateur devenu lobbyiste, Bob Dole, a touché 140 000 dollars (132 000 euros) entre mai et octobre 2016 des autorités taïwanaises pour les aider à établir des liens avec l’équipe de M. Trump.

Les affaires ne sont jamais loin. Quelques semaines avant cet appel, une représentante du groupe Trump avait rencontré le maire de Taoyuan, la commune du grand Taipei où est situé l’aéroport international. Elle lui a dit tout l’intérêt de l’organisation, qui souhaite investir dans un nouveau complexe hotelier et commercial envisagé proche des pistes.

Le futur président a encore renforcé l’inquiétude de la Chine continentale en répondant « we’ll see » (« on verra ») à un journaliste qui lui demandait, le 31 décembre, s’il comptait rencontrer Tsai Ing-wen.

Démonstration militaire

Depuis l’appel, Pékin a activé plusieurs leviers de dissuasion. Après une trêve dans la guerre des reconnaissances diplomatiques pour accommoder Ma Ying-jeou, qui, à la présidence taïwanaise de 2008 à mai 2016, a œuvré au rapprochement économique avec le continent, la République populaire a repris l’offensive.

Pékin a ainsi convaincu Sao Tomé-et-Principe d’établir des liens diplomatiques avec lui. Au lendemain de ce basculement, opéré le 21 décembre 2016, Taipei a reproché à ce petit Etat au large de l’Afrique de l’Ouest de céder « au plus offrant » – un jeu diplomatico-financier que Taïwan a pourtant longtemps pratiqué.

La démonstration est également militaire. L’unique porte-avions chinois, le Liaoning, est pour la première fois sorti dans le Pacifique autour de Noël, passant entre le nord de Taïwan et l’archipel japonais d’Okinawa, encadré par cinq autres navires. Puis il a franchi le détroit séparant le sud de Taïwan du nord des Philippines pour parvenir en mer de Chine méridionale, un parcours qui se voulait un message explicite à destination de Taipei et Washington.

Bien que jugée faible, la probabilité que M. Trump en personne rencontre Mme Tsai inquiète la Chine, déboussolée par le caractère du futur chef d’Etat américain, qui a promis d’être « imprévisible » et n’a pas calmé le jeu depuis.

Pékin voit se profiler un rapide rapprochement russo-américain alors qu’il avait pu profiter des tensions entre Moscou et Washington pour développer ses propres capacités de réaction ces dernières années.

Qu’il s’agisse du commerce, du cours du yuan ou de Taïwan, la Chine constate chaque jour un peu plus qu’elle est dans le viseur du nouveau président. Dans ce contexte, même une rencontre de Mme Tsai avec une personnalité proche de M. Trump et non avec lui-même sera vue comme un défi.