L’ancien sélectionneur, Jean-Michel Gonzalez, le 22 novembre 2016 après un match face aux Etats-Unis à Béziers. | SYLVAIN THOMAS / AFP

Avec l’élection de Bernard Laporte, le 3 décembre 2016, à la présidence de la Fédération française de rugby (FFR), et alors que le Landerneau bruit depuis longtemps des mauvaises relations entre le nouvel homme fort du rugby hexagonal et Guy Novès, on pouvait légitimement s’interroger sur l’avenir du sélectionneur du XV de France. Mais l’ancien entraîneur toulousain a été épargné. Ce n’est pas le cas des entraîneurs de l’équipe de France féminine, qui n’ont, eux, pas résisté au changement de pouvoir et à la défaite du président sortant, Pierre Camou. A six mois de la Coupe du monde organisée en Irlande (9 au 27 août), cette destitution fait tâche.

Nommée en tant que nouvelle manageuse générale des Bleues, poste qu’elle avait déjà occupée jusqu’en 2014 et dont elle avait été évincée après la Coupe du monde, Annick Hayraud s’est chargée de jouer les coupeuses de tête. Le désormais ex-sélectionneur Jean-Michel Gonzalez, a annoncé le 1er janvier à l’Agence France-Presse son éviction, ainsi que celle de son adjoint, Philippe Laurent. Une décision pour le moins surprenante alors que le duo a mené ses joueuses à la victoire lors du dernier Tournoi des six nations quand leurs homologues masculins prenaient une décevante cinquième place.

« Le 26 décembre, j’ai cherché huit fois à joindre la manageuse générale des Bleus, Annick Hayraud. En vain. Le soir, elle nous a appelés tous les deux [avec Philippe Laurent] pour nous dire qu’on était virés. J’ai demandé les raisons, elle m’a dit “j’ai pesé le pour et le contre, vous ne faites plus partie du staff”. C’était aussi clair que ça », a expliqué le Bayonnais Jean-Michel Gonzalez. L’officialisation du nouveau staff a été annoncée mercredi 4 janvier, en même temps que la liste des joueuses convoquées pour un stage de préparation en Corse du 5 au 8 janvier. L’Auvergnate Annick Hayraud a nommé le Clermontois Samuel Cherouk, qui entraînait les Espoirs de l’ASM Clermont-Auvergne.

Serge Simon à la manœuvre

Choquées par cette décision radicale et avant de s’envoler pour l’Ile-Rousse, certaines internationales ont d’abord envisagé de demander des comptes à la nouvelle équipe dirigeante de la Fédération à l’occasion de leur passage par Paris, selon un article de France Bleu Pays basque. Contactée par Le Monde la veille du départ en stage, la demie-de-mêlée Yanna Rivoalen, joueuse de Lille, précise que le groupe ne souhaite plus faire de commentaires à la presse pour l’instant.

Serge Simon, bras droit de Bernard Laporte et manageur des équipes de France, a d’abord justifié au Monde, jeudi 5 décembre, le choix d’Annick Hayraud : « J’ai nommé deux manageurs pour le rugby à 7 [Christophe Reigt] et le rugby féminin [Annick Hayraud], qui ont notre entière confiance. On a défini un périmètre d’actions à Annick, dans lequel elle est libre. Elle m’a fait des propositions de staff en collaboration avec la DTN, chose très importante puisque Bernard a placé la direction technique nationale au centre de tout le domaine sportif. »

L’un des anciens « Rapetous », champion de France avec Bègles en 1991 en compagnie notamment de Vincent Moscato et du nouveau président de la FFR, a ensuite fait une analyse toute personnelle du bilan de Jean-Michel Gonzalez et Philippe Laurent à la tête des Bleues : « Leur bilan n’est ni négatif ni mirobolant. Il y a eu des défaites lors des dernières tournées face au Canada [29-10 le 9 juillet face au finaliste du dernier Mondial] et à l’Angleterre [17-13 le 5 juillet et 10-5 le 9 novembre face au champion du monde]. Ce n’est pas inattaquable non plus. »

« Plus violent qu’une mêlée relevée »

Pour Gilles Peynoche, président de l’AS Bayonne, club où a joué et entraîné Jean-Michel Gonzalez et qui compte quatre internationales dans le groupe des 34 appelées en vue du Tournoi 2017, cette sentence ressemble à « du mépris » et la décision suscite de l’incompréhension. « Dans notre région, tout cela paraît incompréhensible. Sortir les gens de la sorte alors que l’on est champion d’Europe et à six mois du Mondial, c’est une injustice. Les joueuses ont été touchées. Jean-Michel Gonzalez et son adjoint avaient fait un gros travail sur la libération des filles [toutes amatrices] par leurs employeurs, les aides financières et sans parler du domaine technique. Pour un type avec son vécu, qui est bénévole, c’est quand même plus violent qu’une mêlée relevée. »

Jean-Michel Gonzalez, ancien talonneur du XV de France, troisième du Mondial 1995 en Afrique du Sud, a, lui, son idée. Il l’a confié au magazine Rugby Amateur : « Cette décision, elle vient de la nouvelle manageuse mais aussi de la politique de la FFR qui veut couper les têtes des amis de Pierre Camou. Aujourd’hui, c’est clair et net. » Un lien que relevait lui aussi Gilles Peynoche, tout en l’atténuant : « Au comité Côte basque Landes, terre de rugby, on est proche de Pierre Camou [originaire d’Uhart-Cize, au Pays basque], même si tout le monde n’a pas forcément voté pour lui lors des dernières élections. »

« Un choix sportif, absolument pas politique »

Interrogé par Le Monde, Serge Simon nie fermement cette interprétation. « J’entends que de l’autre côté de l’Adour [fleuve du Sud-Ouest], on le comprenne différemment mais c’est un choix sportif, absolument pas politique. On fait entièrement confiance à la manageuse Annick Hayraud, dont le CV parle pour elle, puisqu’elle a été capitaine du XV de France et a déjà occupé la même fonction. Elle va être très proche du terrain. Elle va mettre les mains dans le cambouis et elle voulait donc travailler avec un staff avec lequel elle était en confiance », défend celui qui admet qu’il ne connaissait pas le nouveau sélectionneur, Samuel Cherouk, avant qu’il ne lui soit proposé.

Jean-Michel gonzalez
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A 72 ans, Henry Broncan, surnommé le « Sorcier gersois » grâce à ses passages réussis à Auch, Albi ou Tarbes, fait, lui, le parallèle avec la politique. « Quand un nouveau président est élu à la tête du pays, il y a du changement. Ça se passe aussi comme ça dans le sport. Il y a des hommes de qualité de tous les côtés. Mais le staff en place était très compétent, et je suis surpris de cette exclusion », explique celui qui a entraîné Albi aux côtés de Philippe Laurent. Interrogé sur le maintien a contrario de Guy Novès, pourtant supposé adversaire de Bernard Laporte, l’homme du Sud-Ouest estime que « son renom est tel que l’on n’a peut-être pas osé s’en séparer ».

En dehors de la réputation de Novès et de l’amélioration du jeu entrevue malgré les défaites lors de la tournée automnale, une autre différence essentielle a certainement eu son importance. Jean-Michel Gonzalez l’explique lui-même : « Il est plus facile de me virer. Novès est sous contrat avec la Fédé avec des rémunérations mensuelles. Nous, nous étions juste des bénévoles, des prestataires payés à l’intervention. Nous étions des petits par rapport à ces contrats-là. »

« Les gens qui ont voté Laporte verront bien… »

Ancienne internationale, sélectionneuse entre 2009 et 2014, Nathalie Amiel, qui a connu des relations plus que difficiles avec Annick Hayraud lors du dernier Mondial, déplore les conséquences pour les joueuses de ce bouleversement. « Les deux entraîneurs avaient bien bossé. Pour le nouveau staff, c’est compliqué d’arriver si près d’une compétition comme la Coupe du monde. On n’a rien créé, ni rien partagé avec le groupe. A l’évidence, le rugby féminin n’est pas une priorité pour la nouvelle Fédération. Les gens qui ont voté Laporte verront bien… »

Battu en demi-finale du Mondial en France par le Canada il y a trois ans, le XV de France féminin a depuis terminé à la deuxième place et à la première place du Tournoi des six nations, dominant notamment le champion du monde anglais l’an passé. De quoi se placer parmi les prétendants à la victoire finale avant le Mondial. « Malgré le court délai avant la Coupe du monde, le président et moi avons été convaincus par l’évaluation du risque effectué par Annick Hayraud. Bernard Laporte a fixé le même objectif pour les hommes en 2019 que pour les femmes cette année : être au moins finaliste et si possible gagner », lance Serge Simon.

En Irlande, cet été, le terrain décidera de la pertinence de la stratégie validée par le nouveau boss du rugby français. Un pari risqué.