Donald Trump le 19 octobre à Las Vegas (Nevada). | SAUL LOEB / AFP

Vendredi matin 6 janvier, le président élu Donald Trump s’est bruyamment réjoui sur son compte Twitter des débuts poussifs de son successeur pour l’émission de téléréalité « The Apprentice », Arnold Schwarzenegger. Ce dernier ne l’avait pas soutenu lors de la présidentielle.

La veille, il a mis en garde la firme automobile Toyota contre le projet de bâtir une usine au Mexique pour le marché américain. Mercredi, il a attiré l’attention des républicains contre les « clowneries » du chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, sur la réforme de la protection sociale du président Barack Obama.

Un jour plus tôt, il jugeait « très étrange » que le renseignement américain repousse selon lui un briefing consacré au piratage de données confidentielles du Parti démocrate imputé aux autorités russes. Il annonçait également la tenue d’une conférence de presse pour le 11 janvier. Le 2 janvier, il se faisait fort enfin d’empêcher la Corée du Nord de se doter de missiles balistiques capables de transporter une charge nucléaire.

Depuis la victoire lors de l’élection présidentielle du 8 novembre, Donald Trump n’a pas renoncé à son canal d’expression favori. Ni aux formules à l’emporte-pièce, ni à la profusion de majuscules et de points d’exclamations, ni aux approximations accumulées pendant la campagne, comme l’a montré la réaction de la firme Toyota assurant que son usine ne remettait pas en cause des investissements massifs aux Etats-Unis.

Auteur de près de 35 000 messages depuis la création précoce du compte@realDonaldTrump, en mars 2009, il en a ajouté, depuis le 8 novembre, plus de 270 à cette déjà très longue liste. La principale nouveauté est que le milliardaire ne partage pratiquement plus de messages écrits par d’autres.

Interrogé par un expert, l’ancien conseiller politique de Barack Obama David Axelrod, qui anime un podcast, le futur porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, a contesté jeudi une utilisation purement impulsive de ce réseau social, évoquant au contraire une « stratégie ».

Réactions intempestives ou stratégie de communication ?

La réalité se situe sans doute entre les deux. M. Trump reste pour l’instant incapable de ne pas répondre à tout ce qu’il peut considérer comme une provocation. Le programme satirique Saturday Night Live, diffusé par la chaîne NBC, en fait régulièrement l’expérience, à croire que M. Trump n’en rate pas un épisode malgré les critiques dont il l’abreuve.

Il a de même beaucoup commenté les 2,8 millions de voix supplémentaires obtenues par son adversaire démocrate Hillary Clinton (battue au sein du Collège électoral), évoquant par exemple des votes illégaux de sans-papiers que rien n’a jamais accrédité. Il a aussi stigmatisé les artistes refusant de se produire le jour de sa prestation de serment.

Mais en dehors de la communication liée à la transition (annonces de nominations, ou de rencontres dans son quartier général de la Trump Tower), le magnat de l’immobilier a effectivement utilisé son compte Twitter dans une stratégie de déstabilisation permanente. À la fois en politique intérieure, comme pour les affaires étrangères.

Mardi, M. Trump a ainsi brutalement réagi à la décision du Parti républicain de réduire la portée d’un comité chargé de vérifier le respect de l’éthique par les élus. Ces derniers ont fait aussitôt machine arrière. C’est également sur Twitter que M. Trump a évoqué en décembre des sujets aussi complexes que la politique de la « Chine unique », ou la modernisation de l’arsenal nucléaire américain.

Des tweets aux effets réels

Cette stratégie n’a cessé de porter ses fruits, obligeant ainsi la presse à surveiller constamment un compte dont l’activité a permis à son détenteur, comme pendant la campagne présidentielle, de dicter le rythme de l’actualité. Cette même presse, qui lui est majoritairement hostile et qu’il ne cesse également d’accabler de sarcasmes, est également court-circuitée par le succès de@realDonaldTrump.

Au soir de son élection, M. Trump disposait de 12,9 millions de suiveurs. Il en a gagné 6 millions en deux mois, distançant plus que jamais le total du compte générique de la chaîne conservatrice Fox News (12,4 millions) comme celui du Washington Post (8,4 millions), qui n’ont engrangé pendant la même période « que » 500 000 à 600 000 suiveurs supplémentaires.

L’incertitude sur le statut des messages publiés par M. Trump entretient l’intérêt. S’agit-il de ballons d’essai présumant des politiques d’ores et déjà arrêtées ? Ou bien simplement d’occupation de terrain médiatique ? Optant pour la seconde hypothèse, le chroniqueur du New York Times David Brooks a évoqué mardi « la présidence Snapchat de Donald Trump », estimant qu’une étude classique de la parole du président élu est une perte de temps. « Ces déclarations ne visent qu’à attirer l’attention un instant, puis elles disparaissent », avance David Brooks.

Chacun a pu vérifier cependant l’effet potentiellement destructeur de cette arme non-conventionnelle dont s’est émue l’agence de presse officielle chinoise Xinhua, qui a déploré jeudi « l’obsession de la diplomatie Twitter » du président élu. Lorsque Toyota a été mis en cause, comme cela avait déjà été le cas avec le programme jugé très coûteux de l’avion F-35 de la firme Lockheed-Martin, l’action de l’entreprise a immédiatement dévissé en Bourse.