Manuel Valls, candidat à la primaire de la gauche, participe à un meeting de campagne dans la salle François-Mitterrand de l’hôtel de ville de Liévin (Pas-de-Calais), dimanche 8 janvier. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Les symboles sont essentiels, surtout en campagne. Pour sa première réunion publique de rentrée, le candidat à la primaire à gauche Manuel Valls avait choisi, dimanche 8 janvier, une ville qui parle dans l’imaginaire du Parti socialiste : Liévin, dans le bassin minier du Pas-de-Calais. Un bastion historique de la gauche pendant des décennies. Mais un lieu désormais traversé par le doute et le désenchantement, après le sacrifice des dernières élections régionales, en décembre 2015, dans les nouveaux Hauts-de-France (le PS s’était désisté au second tour), et travaillé par l’extrême droite − le Front national a réalisé 48 % dans la commune, au premier tour du scrutin régional.

Liévin, où François Mitterrand avait donné, le 19 novembre 1994, l’un de ses discours testamentaires, avant de quitter le pouvoir, quelques mois plus tard, après quatorze ans de règne. A l’époque, la gauche agonisait dans un second septennat se terminant dans les affaires et le chômage galopant.

Liévin, où Manuel Valls premier ministre était venu en décembre 2014 honorer la mémoire des mineurs morts dans la plus grande catastrophe minière en France de l’après-guerre, le 27 décembre 1974. Un coup de grisou, dans la fosse des Six-Sillons, avait fait 42 victimes. Manuel Valls avait rendu hommage au « peuple de la mine » qui « a fait la France » et au « monde ouvrier (qui) a fait avancer l’Histoire » par ses luttes sociales et syndicales : « Un monde fait d’endurance et d’obscurité, de courage et de danger, où des fils faisaient ce que leurs pères, leurs grands-pères avaient fait avant eux. »

Des mots qui le rapprochent plus de Jaurès que de Clemenceau

Liévin et sa région, où en 1906, la gauche, déjà, avait connu un de ses affrontements internes qui ont façonné son histoire. A l’époque, Georges Clemenceau – le modèle politique de Manuel Valls – était ministre de l’intérieur. Face à 40 000 mineurs en grève de Courrières à Lens, il avait envoyé la troupe de 30 000 soldats, et avait maté la révolte des gueules noires.

Jean Jaurès l’avait alors combattu à l’Assemblée nationale, lui rappelant que « quand ils luttent, les hommes, les prolétaires sont des forces de civilisation ». Clemenceau avait répondu par une tirade qui incarne aujourd’hui encore l’éternel débat à gauche entre l’espoir et le réel. « Vous avez le pouvoir magique d’évoquer de votre baguette des palais de féerie, avait lancé le « Tigre » au député du Tarn. Je suis l’artisan modeste des cathédrales, qui apporte une pierre obscurément à l’ensemble de l’oeuvre et ne verra jamais le monument qu’il élève (...) Vos palais de féerie s’évanouiront en brouillards au contact des réalités, tandis qu’un jour, la grande cathédrale républicaine lancera sa flèche dans les cieux. »

Une tirade que Manuel Valls, en privé, connaît par cœur. Mais, ce dimanche, à Liévin, il l’a gardée pour lui et, dans les mots, a semblé préférer Jaurès à Clemenceau. Dans la salle François-Mitterrand de l’hôtel de ville, en ce jour anniversaire de la mort de l’ancien président, le 8 janvier 1996, l’ancien premier ministre s’est affiché, en fin de matinée, devant quelque 200 personnes à peine.

Au premier rang, les figures régionales du gouvernement Patrick Kanner et Pascale Boistard sont présentes, ainsi que le député de la circonscription, Nicolas Bays, le maire socialiste de Liévin, Laurent Duporge.

« J’assume de redonner du pouvoir d’achat après avoir demandé des efforts, de rendre aux Français ce qu’ils ont donné maintenant que nous avons retrouvé des marges budgétaires »

A la tribune, Manuel Valls se pose en candidat du travail et du pouvoir d’achat. « Reprendre notre destin en main, c’est aller vers une société qui donne du travail et une société aussi qui rémunère le travail », déclare-t-il. Il assume la politique de l’offre mise en place depuis 2012, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabilité, qui ont été utiles, selon lui, aux entreprises. « Elles regagnent des parts de marché à l’export, investissent, embauchent », affirme-t-il.

Aux futurs entrepreneurs, il promet « un prêt de l’Etat à taux zéro, sans remboursement les premières années ». Aux salariés, il propose que « chaque Français (puisse) accéder à une nouvelle qualification une fois tous les dix ans ». Il s’engage également à « augmenter la prime d’activité » jusqu’à « 1 500 euros par mois ». Il assume enfin sa proposition de « défiscaliser les heures supplémentaires », mise en place par la droite sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et abandonnée par la gauche en 2012.

« Quoi qu’en disent les commentateurs, je n’ai pas peur de revenir sur une mauvaise décision. La politique se meurt de ce manque d’humilité. J’assume de redonner du pouvoir d’achat après avoir demandé des efforts, de rendre aux Français ce qu’ils ont donné maintenant que nous avons retrouvé des marges budgétaires », explique Manuel Valls.

En ciblant ainsi le travail, le candidat Valls répond, sans le citer, à Benoît Hamon, son concurrent qui monte à la primaire, en proposant notamment un revenu universel d’existence pour tous les Français majeurs. « Je ne crois pas au revenu universel, cette somme unique qui serait versée à ceux qui en ont le plus besoin, comme à ceux qui ont déjà tout, de l’ouvrier jusqu’à Mme Bettencourt, pour un coût total de 300 milliards d’euros impossible à financer », estime-t-il. A l’inverse, lui propose un « revenu décent » de 800 euros par mois, sous condition de ressources.

Des accents plus souverainistes que ces dernières années

Mais Manuel Valls s’offre aussi la possibilité de se distinguer du candidat de la droite, François Fillon, qu’il accuse de « préparer la purge de nos services publics » en « supprim(ant) 500 000 postes de fonctionnaires ». Aux Français des classes moyennes et populaires, l’ancien premier ministre promet une plus grande « protection », à la fois intérieure et extérieure.

« Nous devons nous réarmer, ce qui veut dire continuer de donner des moyens à notre justice, 1000 magistrats en cinq ans, à nos armées en portant le budget de la défense à 2 % du PIB », explique-t-il, mais aussi en étant « intraitables sur la question de la laïcité, qui est notre meilleur rempart contre tous les intégrismes, tous les fondamentalismes, contre le salafisme ».

Au plan européen, Manuel Valls développe ses accents de campagne, plus souverainistes que ces dernières années. Taxer « lourdement » les importations qui « ne respectent pas nos règles sociales et environnementales », « contrôler mieux » les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques (sécurité, énergie, transports, agriculture), défense des « frontières » et « pause » dans l’élargissement de l’Union européenne, telle est la « refondation de l’Europe » qu’il propose.