Le premier ministre turc, Binali Yildirim, au côté de son homologue irakien, Haider Al-Abadi, à Bagdad, le 7 janvier. | © Handout . / Reuters / REUTERS

Après des mois de tensions avec l’Irak, le premier ministre turc, Binali Yildirim, a confirmé l’amorce d’un retour à la normale entre Ankara et Bagdad en se rendant, samedi 7 janvier, en visite officielle dans la capitale irakienne où il a rencontré son homologue irakien, Haïder Al-Abadi. Les relations entre les deux Etats voisins ont traversé une période de crise, parvenue à son paroxysme en octobre 2016, peu avant le début des opérations menées par les forces irakiennes contre l’organisation Etat islamique (EI) à Mossoul, deuxième agglomération à majorité sunnite et dernier bastion d’importance des djihadistes dans le pays.

La présence militaire turque au nord de l’Irak se trouve au cœur du contentieux avec Bagdad. Ambitionnant de peser sur l’avenir de Mossoul et se posant en puissance protectrice des sunnites, Ankara avait su profiter de ses relations privilégiées avec les autorités kurdes irakiennes pour déployer des troupes sur leur territoire, situé hors du contrôle de Bagdad. Les forces turques y encadraient des éléments arabes sunnites en rupture de ban avec le gouvernement irakien dans une base des environs de Bachika, à une vingtaine de kilomètres de Mossoul.

Enjeu autour du mont Sinjar

En octobre, le ton était monté entre les deux capitales. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, répondant aux protestations de Bagdad qui voyait dans l’engagement turc une violation de sa souveraineté, intimait alors au premier ministre Abadi de « rester à sa place », ce dernier n’étant, selon lui, « pas à son niveau ». Intervenant dans une atmosphère que les deux gouvernements ont voulue plus apaisée et placée sous le signe d’une coopération retrouvée contre un ennemi commun, l’Etat islamique, la visite de M. Yildirim n’a cependant pas débouché sur un accord formel concernant l’emprise militaire turque de Bachika.

M. Al-Abadi a indiqué à la télévision nationale irakienne qu’un accord sur le retrait des forces turques avait été conclu, mais il n’est pas mentionné dans la déclaration commune, qui présente Bachika comme une « base irakienne ». M. Yildirim a assuré que les soldats turcs seraient retirés dès que l’offensive contre Mossoul aura pris fin.

C’est cependant en lien avec la situation intérieure turque que se trouvait l’un des principaux enjeux de la visite de M. Yildirim en Irak, prolongée dimanche à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien autonome, à savoir l’implantation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans la région du mont Sinjar, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Mossoul.

Menant une guerre émaillée de brèves accalmies contre l’Etat turc depuis 1984, cette organisation a repris en 2015 la lutte armée contre Ankara. Après avoir secouru les populations yézidies kurdophones visées en août 2014 par des massacres de masse perpétrés par l’EI à Sinjar, les forces du PKK y ont pris racine.

Massif montagneux isolé au cœur de la plaine mésopotamienne, le mont Sinjar occupe en effet un emplacement stratégique, situé dans le prolongement des régions que le PKK et ses alliés locaux contrôlent dans la Syrie voisine où ils combattent l’Etat islamique avec le soutien non démenti des Etats-Unis et de la coalition internationale.

Contrôle exclusif

A Sinjar, l’organisation kurde a pu mettre sur pied des milices locales yézidies, affiliées au PKK et encadrées par des membres expérimentés de l’organisation, souvent originaires de Turquie. Or, ces groupes armés ont pu bénéficier d’un certain soutien financier de la part du gouvernement central irakien qui se révéla être une source supplémentaire de contentieux entre Bagdad et la Turquie et d’inquiétude pour les autorités d’Erbil qui ont œuvré à rapprocher les positions. « Le rapprochement entre la Turquie et Bagdad est le résultat d’un processus auquel les autorités du Kurdistan irakien ont contribué activement », déclare Safin Dezayi, le porte-parole du Kurdistan irakien.

La présence du PKK à Sinjar est vue d’un mauvais œil par les Kurdes d’Irak qui entendent exercer un contrôle exclusif sur cette région et refusent que le PKK y conteste leur influence. Dans cette région ravagée par l’EI et les combats qui l’en ont délogé, les factions kurdes présentes à Sinjar voient ainsi leurs rivalités locales entrer dans le prolongement des rapports de force entre puissances régionales. « Le gouvernement régional du Kurdistan et la Turquie souhaitent la même chose à Sinjar : le départ du PKK et le passage des forces locales affiliées par le PKK sous le contrôle d’autorités reconnues et légitimes. Nous pensons que le gouvernement central irakien est sur une position similaire », indique M. Dezayi.