Samedi 14 janvier débutera la 31e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) au Gabon. Pendant trois semaines, la grand-messe du foot africain se déroulera dans un pays dont le président a tordu le bras des institutions pour se maintenir au pouvoir. La Confédération africaine de football (CAF) aurait dû retirer l’organisation de ce rendez-vous continental à un Etat dont le chef n’a cure de l’expression de ses concitoyens.

Ali Bongo, soucieux de se donner une image lisse et moderne, pourra bien se pavaner lors des festivités marquant le début de la CAN. Mais les Gabonais et les progressistes africains, dans leur majorité, n’oublieront pas le scandale du décompte des voix dans la province du Haut-Ogooué. Pour rappel, le président sortant avait engrangé 95 % des voix dans cette province avec un taux de participation fantaisiste de 99,3 % lors de la présidentielle d’août 2016. Le ridicule à son comble.

Il s’en est suivi un pays qui a basculé dans la violence avec une répression féroce des manifestants par le régime de Bongo et de nombreux morts à la clé. Ali Bongo ne se soucie pas des vies perdues à cause de sa soif de pouvoir. Il s’est autoproclamé président sans crainte de s’exposer aux rires du monde entier. La décence est un privilège avec lequel le locataire du palais du bord de mer ne semble pas s’embarrasser.

Un président illégitime

Le maintien de l’attribution de la CAN au Gabon est au mieux une erreur, au pire un manque de respect total vis-à-vis des Gabonais qui devront encore « se coltiner » un président illégitime. Ali Bongo a triché pour continuer d’exercer un pouvoir au mépris des aspirations au changement exprimées dans les urnes par ses concitoyens. Le carton rouge que lui ont infligé les Gabonais a été annulé par la CAF, qui le réhabilite et approuve ainsi la violation du suffrage d’un peuple.

Le message que la CAF et son éternel président Issa Hayatou lancent au peuple gabonais est clair : sa souffrance et, surtout, son droit au respect ne sont guère leur préoccupation.

L’industrie du football est finalement à l’image de notre monde. Pendant que les satrapes gouvernent en se jouant des règles du jeu démocratique, le business continue. On est dans une entreprise résolue à fructifier le pactole que génère le sport de haut niveau, entre financements publics, sponsors et droits télévisés. Si les dirigeants de la CAF et des fédérations nationales peuvent, en passant, égayer les férus du ballon rond, mettre de l’ambiance dans les capitales africaines et anesthésier la souffrance des peuples, tant mieux. Les valeurs attendront.

Mais le sport ne peut se dissocier longtemps de l’éthique. Le football ne peut occuper une part importante dans la société et se payer le luxe de ne pas se soucier de nos aspirations à la démocratie et à la liberté. Il n’y a qu’à observer le vent de fraîcheur que la première qualification de la Guinée-Bissau apporte à ce peuple martyrisé depuis l’indépendance du pays pour mesurer l’importance de ce qui est devenu plus qu’un divertissement.

Le football occupe une place importante dans nos vies, et ses dirigeants ont l’obligation de faire des efforts afin de prendre en compte les désirs de la jeunesse de voir émerger une Afrique meilleure.

Forfaiture

Ali Bongo, son administration et son armée de conseillers feront de cet événement sportif un énième moyen de communication à outrance pour asseoir sa légitimité de président « réélu ». Mais celle-ci lui fera toujours défaut durant ce deuxième mandat car, même s’il a mis tout le monde devant le fait accompli, personne n’oubliera le Haut-Ogooué et ses électeurs « massivement sortis exercer leur devoir citoyen ».

Bongo est comme un joueur exclu qui resterait quand même sur le terrain. Un joueur qui va rester encore sept longues années, car il s’est arrogé le droit de définir les règles de la compétition et de les violer à sa guise.

Néanmoins, malgré mon opposition à l’organisation de la CAN au Gabon qui volontairement légitime la forfaiture d’Ali Bongo, je regarderai tous les matchs, avouant ainsi une faiblesse qui peut être, à juste titre, considérée comme une incohérence. Je serai au premier rang pour suivre les exploits de mes champions, puisque, cette année, les Lions de la Téranga – l’équipe du Sénégal – sont encore favoris pour le titre. L’amour pour le ballon rond est au-delà de la raison critique. En cela, comme le souligne l’écrivain et philosophe argentin Fabian Casas, « le football est intellectuellement indéfendable ».

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.