Étant enfant, la question était : « Où est Charlie ? ». Question qui, à l’aube de l’année 2015, allait prendre un tout autre sens. En effet, pour trouver Charlie, à la plage ou à la montagne, il fallait scruter minutieusement la page pour capter les rayures blanches et rouges de ses vêtements… Le 7 janvier, seules les lignes rouges pouvaient nous donner un indice pour en retrouver quelques morceaux. Vous voyez l’arnaque ?

Dans le jeu, trouver Charlie nous donne le droit de tourner la page car nous avons gagné et nous pouvons passer au défi suivant. Dans la vie, trouver Charlie, cela a d’abord été d’accepter une défaite - dans le meilleur des cas, une remise en question - de la liberté d’expression, mais aussi celle d’une humanité plurielle. D’ailleurs, une des réactions les plus médiatisées après ce premier événement à été d’assimiler Charlie au grand public : nous l’étions tous - ou presque – du moins par notre photo Facebook.

Un retour de force incroyable qui rendait le jeu impossible : qui est Charlie si tout le monde est Charlie ? Peut-être est-ce une ruse copiée sur les grands guerriers lâches qui se confondent dans la foule civile pour passer inaperçus et attaquer dans le dos. Un dessin aurait sans doute mieux expliqué cette tactique mais, en ces temps d’inquisition, il nous semble plus avisé d’éviter une telle déclaration de guerre. Nous voici donc bloqués sur une page avec une armée de Charlies. Heureusement, nous avons toujours foi en l’humour en tant que grands ambassadeurs de la vie. La farce est finalement démasquée lorsque ces mêmes « Charlies » deviennent consécutivement « Paris » et puis « Bruxelles », voire « Istanbul » pour les plus hypocrites - car, pour ce que cela coûte, autant au moins paraître pour un type bien sûr le web.

Toutefois, libre à tous de se manifester pour rendre hommage à l’un des plus tristes « game over » de l’Occident du XXIe siècle. Finalement, ne s’agit-il pas là d’un changement de jeu : le monde ne joue plus à « Où est Charlie ? » mais plutôt à « Hunger Games » dont le titre n’a même pas besoin d’être retravaillé pour correspondre à la situation.

Le journal satirique est devenu alors un signe de ralliement en faveur de l’encre et contre l’effusion de sang. Comme dans une bonne tragédie, il a fallu qu’il soit martyr pour gagner un respect et une notoriété sans précédent. Comment ? ! Alors, tout ceci est certainement une machination, un complot pour favoriser la vente d’un journal… Tout comme la fable qui raconte qu’en 1969 Armstrong est allé sur la lune ! Oui, c’est à peu près l’intérêt du terrorisme : pousser la paranoïa à son paroxysme et faire régner la peur à tous les étages de la population. Et pourtant, nous tâcherons de souligner que Charlie est et restera l’icône d’un journal marginal. Qu’il soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, l’art reste une communication pacifiste qu’il suffit d’ignorer s’il n’est pas à notre convenance.

En revanche, il est beaucoup plus difficile d’ignorer les bombes et les balles qui transpercent nos parents et nos enfants. Le politiquement correct nous empêche de le représenter comme il est, car n’oublions pas que nous sommes tous des Charlies…
C’est un peu dommage car si au moins le terroriste était vêtu d’un pull et d’un bonnet lignés rouge et blanc, il serait plus facile à identifier. Humour, religion, couleur, amitié, amour se mélangent très bien alors que Da(e)ch (acronyme arabe de l’organisation Etat islamique) cherche à laver plus blanc que blanc… il serait vraiment dommage qu’il efface toutes les imperfections qui offrent à l’humanité sa gloire et sa beauté.

Mais revenons à ce soir chez moi à Bruxelles, ou je m’éclaire depuis des mois aux bougies comme pour apaiser mon âme trop bousculée depuis le 22 mars dernier. Ce matin-là, je déposais ma fiancée Isabelle à l’aéroport de Bruxelles où elle avait rendez-vous avec ses parents. Je me suis attardé dans la douche. Isabelle s’est énervée parce qu’elle savait que ses parents seraient – comme toujours – en avance…

La suite vous la connaissez tous, mais nous l’avons proprement évitée. Sa maman va mieux aujourd’hui, mais nous n’avons jamais revu son papa. C’est à lui que je pense ce soir, à lui, à sa femme et à ses quatre enfants, et à tous les autres qui n’avaient rien demandé. Lui, c’est André Adam, monsieur André Adam devrais-je dire, lui qui a passé sa vie à faire le bien et à propager la paix en grand ambassadeur qu’il était. Lui qui avait connu Paris sous les barricades en mai 68, Kinshasa pendant la Zaïrisation, puis Londres pendant les attentats Irlandais. Qui avait été le témoin navré de la montée du Front Islamique en Algérie en 1986, puis des massacres de Lubumbashi au Congo. Lui qui a fini sa belle carrière de diplomate comme représentant de la Belgique auprès des Nations Unies à New York (1997-1998), avait depuis des années déjà pris une retraite paisible dans un petit village magnifique du Gers. Il n’aurait pas dû être là le 22 mars.

Voilà, je voulais vous parler un peu de lui, du monsieur qu’il était, du mari, du papa et du grand-père formidable qu’il restera pour toujours. Et comme humour rime avec toujours, il aurait dit - « Messieurs les terroriste, allez raser vos vilaines barbes et enlever vos déguisements ridicule, on a déjà tous vu ce film et on vous a reconnus, comme dans’’Où est Charlie ?’’ »