La « nyamusinga » Christine Mukiranya, reine mère du Rwenzururu, dans l’ouest de l’Ouganda. | Gaël Grilhot

Fin novembre 2016, des affrontements meurtriers ont opposé la garde du roi du Rwenzururu, dans l’ouest de l’Ouganda, aux forces de l’ordre, qui ont conduit à l’arrestation du monarque, inculpé depuis pour plusieurs chefs d’accusation, dont ceux de « meurtre » et de « terrorisme ». Sa mère, la nyamusinga des Bakonzo, a personnellement fait le voyage début janvier jusqu’à la résidence du président Museveni pour demander sa libération. Un soutien de choc de la part de cette femme dont l’histoire personnelle se confond avec celle, tumultueuse, du royaume du Rwenzururu.

Le Monde l’a rencontrée à Kasese, une ville de 74 000 habitants à environ 20 km de la frontière congolaise. A quelques centaines de mètres à peine du palais détruit, sur une piste étroite, une maison ordinaire à peine plus grande que celles du voisinage. A l’entrée du jardin, où paissent tranquillement quelques chèvres, deux cases de gardes indiquent que nous sommes dans une propriété du roi, chez sa mère. Vénérée au même titre que le monarque, si ce n’est plus encore, la nyamusinga Christine Mukirania est une légende vivante dans la région.

En chemise blanche et longue robe de coton bleue, elle trie et nettoie soigneusement ses haricots, avant d’envoyer les bons dans une grande casserole pleine d’eau. Autour d’elle, une dizaine de ses petits-enfants jouent dans le jardin. Elle dit n’avoir pas été inquiétée lors de l’attaque du palais, le dimanche 27 novembre, mais avoir eu peur que son fils soit tué. Officiellement, les violences ont alors fait au moins 87 morts.

« Grand-mère nourricière »

Après la stupeur de l’assaut, elle s’est empressée d’assumer son rôle de reine mère. Elle pense évidemment toujours à son peuple, lui adressant très solennellement ses « condoléances » pour ceux qui sont morts dans le palais, où elle s’est rendue le jeudi suivant en compagnie de quelques-uns de ses petits-enfants, pour réaliser un état des lieux du cheptel royal et s’en occuper. Malgré les réticences des forces de sécurité, elle a finalement pu entrer. Elle a compté 54 chèvres, « mais il y en avait beaucoup plus avant », s’indigne-t-elle. Et sur les six vaches qui vaquaient auparavant dans l’enceinte du palais, il n’y en avait plus que deux, les autres ayant été tuées durant l’assaut.

Agée de 82 ans, la nyamusinga a vécu tous les soubresauts de l’histoire récente et mouvementée du peuple bakonzo. Elle avait déjà 28 ans lorsqu’elle a suivi son mari Issaya Ier dans le bush. Le premier roi des Bakonzo venait alors de proclamer la sécession du Rwenzururu, en juin 1962. « Nous avons vécu ensemble dans le bush durant tout ce temps », sourit-elle malicieusement à l’évocation de ces souvenirs. A la mort de son mari, en 1966, le trône est revenu à son fils, Charles Wesley Mumbere, qui a continué la lutte armée contre le pouvoir central durant les régimes d’Idi Amin Dada (1971-1979) et d’Obote (1980-1985).

La reine-mère du Rwenzururu, dans sa propriété à quelques centaines de mètres à peine du palais détruit, à Kasese, dans l’ouest de l’Ouganda. | Gaël Grilhot

La nyamusinga aura donc participé à la rébellion séparatiste du Rwenzururu depuis ses origines, jusqu’au dépôt des armes en 1982. Elle est fière d’être toujours considérée aujourd’hui par la population « comme la grand-mère nourricière des combattants du Rwenzururu », parce qu’elle apportait de la nourriture aux rebelles.

L’audience de son fils encore reportée

Mais son visage redevient grave lorsqu’elle revient sur la situation de son fils. Début janvier, elle a finalement accompagné une délégation de dirigeants du Rwenzururu pour demander au président Museveni de pardonner au roi et de le libérer. En vain. Elle s’est également rendue à une audience, lundi 9 janvier, à Jinja, dans l’est du pays, où devait être étudiée une mise en liberté sous caution du roi. Mais les débats ont été une nouvelle fois reportés.

La nyamusinga a peur de ce qui peut advenir : « Si le roi est condamné, cela va beaucoup blesser les Bakonzo. Je ne sais pas ce qu’ils vont faire réellement, mais si le roi va en prison pour une longue durée, ils vont se sentir très mal. » Très vive d’esprit, elle considère toujours que, malgré la reconnaissance tardive du royaume en 2009, les Bakonzo « n’ont jamais été considérés au même niveau que les autres peuples de l’Ouganda ».

La reine mère se refuse pourtant à confirmer ou à infirmer qu’un mouvement séparatiste existe dans la région, comme l’affirment les autorités. Mais si elle souhaite de toutes ses forces que « le combat des Bakonzo continue (…), cela ne doit pas être sous la forme d’une rébellion dans le bush. Cela doit se faire par une voie légitime, en respectant les institutions ».