Même pour quelqu’un d’aussi énergique qu’Aïssata Diakité, l’année 2016 a été riche en accomplissements. En début d’année, l’entrepreneuse de 27 ans a créé Zabbaan Holding, sa marque de jus de fruits, déjà classée parmi les start-up les plus innovantes du monde francophone. Dans la foulée, elle a lancé le forum Jeunes et sécurité alimentaire, destiné à sortir de l’isolement des PME portées par de jeunes entrepreneurs issus de la diaspora.

Aïssata arrive au rendez-vous, les bras chargés de sacs : le lendemain, elle part pour Bamako. Là-bas se trouve son usine. A Paris siège son équipe de communication. Entre les deux, elle jongle, et c’est souvent la course.

Mais dès qu’elle se met à parler d’agrobusiness, son attention est entière et la passion filtre. « Dans l’agrobusiness, il y a du bio et du pur et dur, qui se fiche de la santé du consommateur », annonce Aïssata Diakité, ne laissant pas longtemps planer le doute sur le type d’agrobusiness qu’elle veut développer.

Une obsession personnelle

Elle a grandi à Mopti, « au cœur du Mali, dans une région à cheval entre la culture arabo-africaine et l’Afrique noire ». Avec un père vétérinaire, consultant dans le secteur agricole, et une mère gérante d’une unité de transformation de lait, elle développe le goût pour les produits de la région.

Ce goût devient une obsession. Aïssata Diakité emploie son temps libre d’étudiante à faire des tests de jus de fruits, chez elle, avec son « petit laboratoire » équipé de mixers et de balances.

En parallèle, l’apprentie en nectars fait le constat qu’au-delà du bissap et du gingembre, on ne trouve pas grand-chose dans la catégorie des boissons fraîches au Mali. Le reste est importé : les sodas et les jus qui sont des « produits chimiques mélangés avec de l’eau », analyse-t-elle. C’est le deuxième constat que fait Aïssata Diakité : non seulement la demande existe, mais elle est forte.

Enfin, et c’est le dernier pilier du raisonnement à l’origine de Zabbaan, « tous les deux ou trois mois, on a des fruits en abondance qui finissent par pourrir parce qu’on n’a pas assez d’unités de transformation pour en faire usage », explique Aïssata.

Des études d’agro-alimentaire

Reste à passer à l’action. A la fin du lycée, Aïssata Diakité quitte Mopti pour Amiens, où elle débute des études d’agro-alimentaire. Elle loge à l’internat, puis enchaîne les stages, grâce à une formation en alternance, et obtient un master.

Son goût pour l’agrobusiness ne faiblit pas. Celui pour l’autonomie s’affirme. Après son diplôme, sa famille lui conseille de se trouver une entreprise où faire ses armes. Conciliante, Aïssata s’exécute. Mais, chez Afnor, entreprise française de certification, elle s’ennuie vite et signe une rupture conventionnelle sans en parler à ses proches.

Avec l’une de ses sœurs qui habite Londres, elles vont sur le marché de Notting Hill tester à la vente les jus de fruits d’Aïssata. Là, elle découvre beaucoup de jeunes entrepreneurs, issus de la diaspora comme elle, qui vendent « des plats cuisinés qui cartonnent ».

Au forum Young Innovators, organisé en 2015 à Rome par la Commission alimentaire mondiale, Aïssata constate que les entrepreneurs du monde anglophone sont beaucoup mieux organisés que les autres. De là, l’idée du forum Jeunes et sécurité alimentaire qu’elle met sur pied un an plus tard.

Un fonds d’investissement anglophone lui fait confiance le premier, suivi d’un fonds de garantie du secteur privé au Mali. La production démarre en août 2016, avec un investissement de départ de plus de 200 000 euros.

Adapter son produit à la demande

Aïssata Diakité ne se plaint pas, au contraire : retenue sur la base de son business plan par Entrepreneurs en Afrique, un programme du ministère français des affaires étrangères, elle a bénéficié d’aides substantielles. Le financement des études techniques, d’environ 15 000 euros, l’a soulagée des coûts de départ importants, et lui a permis de rémunérer ses employés à Bamako.

Sans se plaindre donc, mais l’esprit critique intact, Aïssata Diakité analyse avec lucidité sa situation sur le marché malien : « Je crée de la valeur ajoutée et de l’emploi mais, à part ça, je suis complètement enclavée au Mali. » En dehors de sa matière première de qualité – les fruits –, elle importe tout d’Europe, jusqu’aux étiquettes. « J’ai essayé de les faire faire à Bamako, mais je n’arrive pas à trouver la qualité que je veux à un bon prix », résume-t-elle.

Sur place, Aïssata Diakité doit aussi adapter son produit à la demande. Elle qui avait envisagé une conception durable avec une bouteille en verre recyclable, qu’elle prévoyait de racheter à ses consommateurs, elle réalise très vite qu’il faut changer l’emballage. Il sera recyclable, mais jetable. Plus réaliste.

C’est l’inconvénient d’être pionnier. Alors que les « repats », ces expatriés de la diaspora qui rentrent au pays, se contentaient jusqu’ici de faire de l’import-export, Aïssata Diakité appartient à la première génération qui rentre pour créer des entreprises avec une volonté de bouleverser ce qu’elle appelle « la chaîne de valeurs ». Résultat ? Cinq incubateurs ont ouvert à Bamako en 2016.

Jusqu’à 200 agriculteurs

« Nous, c’est la jungle. Il faut tout faire », résume-t-elle. Se frotter à l’épineuse administration malienne, mais aussi à la culture traditionnelle. « Quand on parle aux aînés, il faut regarder par terre, ne pas avoir trop confiance en soi. Bref, le contraire de ce qu’il faut faire pour vendre son projet », poursuit Aïssata, qui joue pourtant le jeu.

Elle travaille avec des coopératives dans cinq régions du pays, qui rassemblent jusqu’à 200 agriculteurs. Ces structures permettent de garantir une certaine traçabilité, et de réagir rapidement en cas de problème.

Elle gère une équipe de cinq salariés et de cinq stagiaires, qu’elle a embauchés via des contrats d’alternance mis en place avec des écoles spécialisées. Uniquement des filles. « C’est une politique interne à l’entreprise », commente-t-elle avec le plus grand sérieux.

A ce stade, Aïssata Diakité ne se rémunère pas et gagne sa vie en tant que consultante pour l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et pour Meet Africa, un nouveau programme de l’Union européenne. Mais les choses pourraient vite changer. « Si tout va très bien, d’ici à douze mois, Zabbaan pourra me payer mon salaire », conclut-elle avec son énergie habituelle.