Le collectionneur et mécène Antoine de Galbert a confirmé publiquement, mercredi 11 janvier, ce qu’il avait annoncé à ses collaborateurs de La Maison Rouge la semaine précédente : la fermeture à la fin de 2018 de ce lieu d’exposition, ouvert en 2004 et vite devenu l’un des points les plus chauds de l’actualité de l’art contemporain à Paris. La Maison Rouge, installée dans une ancienne usine boulevard de la Bastille, aura donc été durant 14 ans la part très visible de l’action de la Fondation Antoine-de-Galbert, créée en 2000 par ce « collectionneur et exploitant agricole » – dixit Internet, assez drôlement.

Né en 1955, issu d’une famille d’industriels, il est l’un des héritiers du groupe Carrefour, où il a travaillé quelque temps avant d’ouvrir une galerie d’art contemporain à Grenoble, sa ville natale, en 1987. Quand il la ferma, ce fut pour ouvrir La Maison Rouge.

« Je crois pouvoir dire qu’il fallait un certain courage pour s’engager dans l’aventure, dit-il aujourd’hui. Et je crois qu’il en faut aussi pour y mettre un terme. » L’annonce de sa décision a immédiatement suscité des rumeurs prévisibles, qu’il dément dès la première phrase de l’entretien : « Je ne suis ni malade, ni ruiné. C’est évidemment ce qui se dira, mais non : ni ma santé physique, ni ma santé financière ne sont menacées. Tout va bien. » Pourquoi arrêter dans ce cas et pourquoi maintenant ? « Parce que je ne vois pas comment nous pourrions faire mieux, aller plus loin. En créant La Maison Rouge, je savais que l’aventure finirait un jour. Il me semble préférable qu’elle finisse alors qu’elle est – je crois qu’on peut le dire, même si c’est manquer de modestie – au plus haut de la vague, plutôt que de courir le risque de moins bien finir. »

S’intéresser aux formes marginales de la création

Ce n’est pas manquer de modestie et Antoine de Galbert le sait : La Maison Rouge, dont la direction est assurée par Paula Aisemberg depuis sa création, a vite défini sa singularité et trouvé son public. Sa programmation a entrelacé plusieurs fils : présenter des collections privées d’art actuel, s’intéresser à des formes dites marginales de création, faire le portrait de villes que l’on n’avait auparavant peu vu apparaître sur le planisphère du monde de l’art.

Ainsi l’exposition inaugurale, en 2004, se nommait-elle L’Intime, le collectionneur derrière la porte, manière de donner le ton. Ainsi y a-t-on vu des artistes tenus de leur vivant pour des « fous » – Henry Darger en 2010, Louis Soutter en 2012, la collection d’art dit « brut » de Bruno Decharme en 2014 et Eugen Gabritschesky en 2016.

Côté collectionneurs extravagants, il y a eu Harald Falkenberg en 2005 ou Jean-Jacques Lebel en 2010, Arthur Walther en 2015. Côté villes méconnues, Winnipeg en 2011, Johannesburg en 2013, Buenos Aires en 2015. A quoi s’ajoutent des invitations à des artistes d’aujourd’hui, parmi lesquels Luc Delahaye en 2005, Mounir Fatmi en 2007, Christian Boltanski en 2008. Actuellement, y sont accueillis Hervé Di Rosa et son Musée International des Arts Modestes.

L’inventaire est très incomplet mais il suffit à rappeler que La Maison Rouge a montré des œuvres et des mouvements qui n’étaient pas tous labellisés par l’histoire officielle de l’art contemporain ou qui n’étaient pas nécessairement à la mode du marché international. Mais il lui est arrivé de précéder plusieurs tendances, de la reconnaissance des « marginaux » couronnés par la Biennale de Venise quelques années plus tard à celle de la japonaise Chiharu Shiota en 2011, présentée par la même Biennale en 2015. Les 1 300 m2 auront ainsi connu des emplois très variés, d’un seul tenant ou fragmentés, lumineux ou obscurs.

Une mauvaise nouvelle

La fermeture de cet endroit singulier est donc une mauvaise nouvelle. Quand on le lui dit, Antoine de Galbert croit percevoir un reproche et se défend vivement : « La Maison Rouge n’est pas un service public, et je n’ai du reste jamais fait appel à des subventions publiques. Mon initiative a été et est restée individuelle, avec les risques inhérents à une telle situation. » Ne pouvait-il tenter de garantir la survie à long terme de La Maison Rouge ? Sa réponse est claire : « Pour pérenniser la Fondation au-delà de ma disparition, il aurait fallu un capital de 200 millions d’euros. Désolé : je ne les ai pas. Je ne suis pas François Pinault et j’agis en conséquence. Mon grand souci était de ne pas mettre en danger ceux qui travaillent avec moi. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’annoncer la fermeture longtemps à l’avance. »

Deux ans à l’avance en effet, puisque la programmation de 2017 et 2018 est déjà connue, de L’Esprit français, contre-cultures 1969-1989 à partir du 24 février, jusqu’à l’exposition finale, intitulée L’Envol, qui finira le 30 octobre 2018. Entre-temps, il y aura Inextricabilia, enchevêtrements magiques cet été et la collection de Marin Karmitz à partir du 21 octobre, avec ce titre narquois : Etranger résident. « Le 30 octobre 2018, ce sera la fin de La Maison Rouge, mais la Fondation Antoine-de-Galbert ne disparaîtra pas pour autant », s’empresse de promettre son créateur. « Elle agira autrement et réorientera son action vers le mécénat. Jusqu’à présent La Maison Rouge absorbait toutes les ressources financières de la Fondation. Elle aura donc une latitude d’action plus grande. Elle pourra intervenir avec plus de liberté, dans des directions plus nombreuses. »