La plaque d’un notaire, à Lille en 2015. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le divorce est souvent une affaire compliquée, sa réforme l’est aussi. Elle envenime en tout cas sérieusement les relations entre avocats et notaires. Chacune des deux professions cherche à marquer son territoire sur ce « marché » alors que depuis le 1er janvier est entré en vigueur le nouveau divorce par consentement mutuel. Inscrite dans la loi sur la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, la réforme a été voulue par le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, pour sortir des tribunaux les dossiers non conflictuels. Elle est censée affranchir les couples des interminables délais imposés par des juges aux affaires familiales débordés et permettre à ces derniers de se concentrer sur les cas litigieux.

Le président du Conseil national des barreaux, Pascal Eydoux, a signé mardi 10 janvier sur le site Internet de la Gazette du palais une tribune vengeresse contre Didier Coiffard. Dans un entretien publié trois jours plus tôt par LePoint.fr, le président du Conseil supérieur du Notariat estimait que les notaires offrent plus de garantie, des propos qui ont eu l’effet d’un chiffon rouge. M. Eydoux « s’indigne » des déclarations de son alter ego et considère que l’interprétation de la réforme par les notaires « n’est pas acceptable ».

L’intention du législateur paraissait pourtant claire. Si les époux sont d’accord pour divorcer et s’entendent sur les conséquences (autorité parentale, droit de visite, pension alimentaire, prestation compensatoire, partage du patrimoine, etc.), chacun doit prendre un avocat pour formaliser la convention de séparation. L’idée est que les intérêts de la partie la plus faible seront même mieux défendus que dans le passé où un seul avocat, bien souvent choisi par la plus solide des deux, pouvait intervenir. Les juges homologuaient 99 % des conventions qui leur étaient soumises.

Une fois l’accord formalisé, et passé un délai de réflexion de quinze jours permettant à chacun de se rétracter, il sera enregistré par un notaire – on dit « déposé au rang des minutes d’un notaire ». Cet acte réalisé par un officier ministériel confère une date certaine au divorce et rend exécutoire la convention de séparation. Aux termes de la loi, le « consentement libre et éclairé » des époux, l’information des enfants sur leur droit à être entendus par un juge et l’équilibre de la convention relèvent de la responsabilité des avocats.

Il y a ce que dit la loi… et ce qu’elle ne dit pas. C’est là que se joue une bataille d’interprétation. Les notaires cherchent ainsi à imposer l’idée que le divorce « chez le notaire » a succédé au divorce « chez le juge ». Déjà sollicités dans les procédures de séparation dès lors qu’il y a un patrimoine à partager, ils s’estiment légitimes pour aller plus loin. Le président du Conseil supérieur du notariat affirme ainsi que le plus simple et le plus sûr serait que les époux se retrouvent chez le notaire. « La loi ne l’interdit pas ni ne le prévoit, mais comment faire autrement si l’on veut assurer une sécurité juridique parfaite à ces conventions ? », déclare-t-il au site du Point, se targuant d’être désormais « l’unique représentant de l’Etat dans cette procédure ». Pourtant, dans le communiqué du garde des sceaux du 27 décembre 2016 présentant l’entrée en vigueur de la réforme il était précisé que « le notaire ne remplace pas le juge » et que « ni les parties ni les avocats ne se présentent devant lui ».

Bataille d’interprétation

« Je me place uniquement sur le fond de la sécurité juridique », plaide aujourd’hui M. Coiffard qui proteste de sa bonne foi et assure qu’il n’est « pas question de s’immiscer dans le contenu de la convention de divorce ». Pourtant, M. Eydoux dénonce « les propos du Notariat qui essaie de réécrire la loi en faisant état du risque » de la part des avocats de conclure des « conventions déséquilibrées », « non conformes à la législation » ou qui « heurteraient l’ordre public ».

Selon nos informations, MM. Coiffard et Eydoux ont été conviés début janvier à la chancellerie par Pierre Berlioz, le conseiller du ministre en charge du dossier, mais la discussion autour du divorce aurait tourné court. Au ministère de la justice, on souligne que l’intervention du notaire se limite au cas où il constaterait qu’une convention « porte manifestement atteinte à l’ordre public ». Il est censé alors alerter les avocats.

Pour M. Eydoux, remporter cette bataille est d’autant plus important qu’il avait soutenu dès le début la réforme, contrairement au bâtonnier de Paris qui s’y est opposé. En concurrence de légitimité dans le débat public, le Conseil national des barreaux est parvenu à s’imposer comme l’interlocuteur privilégié du ministère sur les autres dossiers du moment, comme celui de l’aide juridictionnelle.