Dans le magasin central, attenant à la salle de lecture Labrouste, des pneumatiques acheminent les demandes des bibliothécaires. | Jean-Christophe Ballot

La vénérable Bibliothèque nationale a enfin retrouvé sa grande entrée sur la rue de Richelieu. ­Depuis plus de vingt ans, le square Louvois qui lui fait face s’était endormi, perdant les deux ou trois cafés qui vivaient de la fidélité des lecteurs, tandis que la rue, polie par le passage des bus, se chargeait de particules crasseuses, à l’instar des poumons et des vieux rayonnages laissés vides par le remplissage des quatre tours de la nouvelle BNF, désormais connue sous le nom de son initiateur politique, François Mitterrand.

Pourtant, plus de vingt ans après des travaux considérables qui impliquaient autant le contenant que le contenu, nous n’en sommes qu’à la fin de la première phase des travaux mis en œuvre sur les bâtiments Richelieu. Soit la moitié de l’ancienne bibliothèque. La seconde ­devrait être achevée en 2020. En l’état, elle ne se visite pas sans peine ni accompagnement, avec les deux architectes du projet, Bruno Gaudin et Virginie Brégal. Même ainsi, Richelieu reste un dédale difficile à comprendre dans lequel se croisent de multiples strates, les dernières remontant aux années 1930 et 1950 et aux interventions de Michel Roux-Spitz pour accroître le nombre de ­niveaux, de cinq étages en hauteur et de deux en sous-sol.

D’illustres lecteurs

A vue de drone ou de pigeon, le quadrilatère se lit comme un rectangle, ­découpé presque régulièrement en six grandes parcelles. Du nord au sud, la cour d’honneur, entrée principale de l’ensemble immobilier, et la salle Ovale (180 places), achevée en 1936, et naguère affectée aux périodiques. Achevée ? Oui et non : pour en financer la rénovation, la BNF incite son public à jouer les mécènes en « adoptant » une lampe, un calorifère, une table, une ville ou une ­colonne. Les donateurs verront ainsi leur nom inscrit à côté du mobilier.

La salle Labrouste, considérée comme le joyau du quadrilatère, devrait offrir 320 places, sur 1 370 m²

Au sud, la cour d’honneur dessert la salle Labrouste, mais avant cela notre ­pigeon géographe repère un large couloir aux fonctions multiples, comme il l’était dans son état antérieur, et baptisé le hall. Il y a près de quarante ans, c’est ici qu’étaient délivrées – elles le sont toujours – les cartes de lecteur avec, déjà, une sévère parcimonie. C’est ici, en prise directe, que se trouvait l’entrée de la salle Labrouste, et, sur l’espace laissé libre, la « cour de récréation » des lecteurs, chercheurs et conservateurs. Il n’était pas rare d’y voir le célèbre archéologue Raoul ­Curiel, conservateur des monnaies orientales, en conversation avec Michel Foucault et quelques élèves en état d’adoration. Puis chacun se séparait pour rejoindre son espace de travail : Curiel à l’étage des médailles, sur la table de l’abbé Barthélemy. Foucault, lui, regagnait l’hémicycle, la place 284 (selon ­Télérama), son sanctuaire dans la salle Labrouste, où il pouvait déroger au nombre d’ouvrages empruntés autorisé.

La salle Labrouste, considérée comme le joyau du quadrilatère, devrait offrir 320 places, sur 1 370 m², presque autant que dans son état antérieur (360). On s’émerveille du coup que Tolbiac puisse être déjà saturée avec ses 2 000 places pour chercheurs et 1 700 autres pour les lecteurs de la salle du Haut-de-jardin, comme si l’édification de ce site n’avait en rien diminué les besoins de Richelieu. Classée aux Monuments historiques et restaurée par Jean-François Lagneau, ­Labrouste reste reliée au magasin central des imprimés, onze niveaux de rayonnages sophistiqués dont trois seront accessibles au public. Si la salle de lecture est célèbre pour son élégance inspirée, le magasin central révèle une « alchimie de bois, de fonte et de lumières », disent ses architectes actuels.

A la fin des travaux, d’ici trois ans, le hall prendra les fonctions de couloir distributif. Mais surtout, une fois démoli, non sans polémiques,le grand escalier d’honneur (construit en 1903) qui ­conduisait aux manuscrits et au département des monnaies et médailles, l’espace architectural devrait laisser place à un escalier « moderne » en spirale, le hall y trouvant une nouvelle continuité.

Cet article fait partie d’un dossier consacré à la rénovation du site Richelieu, réalisé en partenariat avec la BNF, l’Institut national d’histoire de l’art et l’Ecole des chartes.