C’est une réforme majeure de la justice pénale que l’Assemblée nationale s’apprête à voter définitivement, jeudi 12 janvier, dans une certaine indifférence. Selon la proposition de loi, les délais de la prescription pénale seront doublés. Cette règle de l’oubli, apparue dès le droit romain, prévoit qu’au-delà d’un certain temps, la justice n’a plus son mot à dire sur des infractions et leurs auteurs présumés, car poursuivre une personne pour des faits trop anciens créerait davantage de trouble – y compris chez la victime – que de la laisser « impunie ». Pour un délit, la prescription des poursuites devrait passer de trois à six ans et, pour un crime, de dix à vingt ans.

Sous la pression de l’opinion et de nombreuses associations de victimes, la prescription s’est trouvée de plus en plus contestée. D’autant que les règles de procédure permettant de suspendre ou d’interrompre ce compte à rebours sont extrêmement complexes. Cela fait plus de dix ans que le législateur songe à réformer les règles de la prescription pour les allonger, les simplifier et les ordonner, car cela concerne également la prescription des peines, le délai au-delà duquel une sanction judiciaire prononcée, mais non exécutée, tombe. Une personne condamnée à six mois d’emprisonnement que l’on retrouve dix ans après le jugement n’ira pas en prison.

Traitement spécifique de la délinquance financière

Les velléités du législateur ont à chaque fois buté sur une question qui divise politiquement à propos de la délinquance financière. Fallait-il profiter d’une telle réforme pour faire entrer dans la loi la jurisprudence de la Cour cassation concernant des infractions occultes ou dissimulées ? La haute juridiction estime que, pour ces délits, tels les abus de biens sociaux, manipulations comptables et autres circuits de corruption, le point de départ du délai de prescription n’est pas la commission de l’infraction, mais le jour où les faits ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Ce n’est parfois qu’à la faveur d’un changement de direction d’une entreprise que des tours de passe-passe illégaux sont découverts. Certaines voix à droite se sont régulièrement élevées contre ce qu’elles considéraient comme un traitement spécifique de la délinquance financière, si ce n’est un acharnement des magistrats contre le monde de l’entreprise.

C’est une proposition de loi, d’initiative parlementaire, bipartisane qui aura eu raison des réticences à toucher des règles datant du code Napoléon de 1808. Alain Tourret, député du Calvados (PRG), et Georges Fenech, député du Rhône (LR) ont mené une mission d’information remarquablement fouillée et ouverte sur cette question aussi technique que politiquement minée. De ce travail est née leur proposition de loi commune.

La tendance à l’allongement des délais de prescription n’est pas l’apanage de la France qui, de ce point de vue, paraissait en retard par rapport à ses voisins. En Allemagne, où le temps judiciaire ne dépend pas de la nature de l’infraction (délit ou crime), mais de la durée de la peine encourue, la prescription est de trente ans pour les faits punis de la prison à perpétuité, de vingt ans si la peine encourue est supérieure à dix ans, de dix ans pour les peines comprises entre cinq et dix ans, etc. Certains crimes sont imprescriptibles comme les meurtres commis avec circonstances aggravantes (cruauté, etc.). En Espagne, les délits terroristes ayant provoqué la mort d’une personne sont exclus de la loi de l’oubli. L’imprescriptibilité est même le principe retenu par le Canada pour tous les crimes.

Prudence transpartisane

Les tentations existent en France pour aller aussi loin, comme le montre le débat relancé par l’affaire Flavie Flament sur les crimes sexuels sur mineurs. Ces crimes bénéficient déjà d’une exception qui fait partir un délai de vingt ans à partir du moment où la victime atteint la majorité. Les promoteurs du texte souhaitaient pour leur part que certains crimes de guerre puissent être imprescriptibles. Finalement, seuls les crimes contre l’humanité le resteront. « A un moment où le besoin de punir est très important, il fallait tenir sur les principes », explique Alain Tourret. De sa longue expérience d’avocat, il garde la certitude que « faire croire à une victime qu’elle ne pourra faire son deuil qu’en saisissant la justice est une profonde erreur ».

Malgré la prudence transpartisane de ses auteurs et un vote unanime en première lecture à l’Assemblée le 10 mars 2016, le texte a bien failli, comme nombre de propositions de loi, capoter. La commission des lois du Sénat a d’ailleurs voté le 5 octobre un texte sensiblement amendé, notamment concernant les délits terroristes. M. Tourret, décidé à sauver cette réforme, a convaincu le garde des sceaux d’organiser une « réunion conciliation » entre les rapporteurs du texte des deux assemblées. Jean-Jacques Urvoas a ainsi reçu place Vendôme le 11 octobre, deux jours avant le débat en séance au Sénat, cette simili-commission mixte paritaire. De l’avis des participants, c’est davantage l’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale que le ministre de la justice qu’il est devenu, en janvier 2016, qui a mis son énergie à faire prospérer cette proposition de loi, laissant les parlementaires trouver un compromis.

Engorgement des tribunaux

Deux principales concessions ont été accordées aux sénateurs. D’abord le fait de borner à douze ans le point de départ du délai de prescription pour les délits financiers dissimulés. Cela évite de les rendre imprescriptibles, sans compromettre la poursuite de fraudes complexes et tardivement mises au jour comme l’affaire de Karachi et le financement de la campagne d’Edouard Balladur en 1995. Ensuite, la question des crimes de guerre a été abandonnée, notamment en raison des inquiétudes sur le risque de poursuites contre des militaires français présents au Rwanda pendant le génocide.

Le texte issu de cette réunion inhabituelle a été voté conforme par le Sénat le 13 octobre, puis par la commission des lois de l’Assemblée, le 14 décembre. Un vote sans modification par les députés paraît probable, ce qui permettra une promulgation rapide.

Reste la question de l’engorgement des tribunaux : doubler les délais de prescription devrait augmenter le nombre d’affaires portées devant la justice. Selon François-Noël Buffet, le rapporteur LR du Sénat, « la charge de travail induite » nécessiterait 29 à 72 postes de magistrats supplémentaires (sur quelque 8 000 magistrats en exercice) et 39 à 98 postes de fonctionnaires. Rien n’a été inscrit au budget 2017.

La loi sur la presse affectée

La loi de 1881 prévoit pour les délits de presse (comme la diffamation), par définition publics et signés de leur auteur, une prescription de trois mois de nature à ne pas entraver la liberté d’expression. Un équilibre insatisfaisant pour les sénateurs François Pillet (LR) et Thani Mohamed Soilihi (divers gauche), qui ont tenté de banaliser ces infractions en les inscrivant dans le droit commun en matière de prescription, c’est-à-dire six ans. Le compromis trouvé avec la commission des lois de…