« L’un des trois chantiers prioritaires pour accélérer, en France, la transition vers la société du commun est celui de l’éducation en commun. La dernière enquête Pisa de l’OCDE le souligne, l’éducation en France est une affaire de classe. Les enfants des classes supérieures y réussissent, ceux des classes inférieures y échouent, creusant une inégalité dès le point de départ  ». (Photo : l’école primaire de Borée en Ardèche). | Hermes Pichon pour Le Monde

Par Hervé Defalvard (Economiste à l’Université Paris-Est - Marne-la-Vallée)

Coup sur coup, deux articles parus dans « Le Monde » éclairent les raisons d’une politique livrée au populisme, mais sans offrir la bonne voie pour la solution. Pour Henri Mintzberg (Le Monde du 15 décembre), il faut sortir de la pensée en silo des experts afin de concevoir une solution globale. De même, pour Thomas Lagoarde-Segot et Bernard Paranque (Le Monde du 16 décembre), il faut quitter le catéchisme des économistes et fédérer les alternatives locales par un langage commun. Si nous sommes d’accord sur le diagnostic, si nous le sommes encore sur la nécessité d’une solution globale ou d’un langage commun, nous divergeons sur l’idée qu’il revienne aux acteurs alternatifs de terrain de les inventer comme le soutiennent ces deux articles.

Car cela relève en effet d’une théorie générale. Et laisser penser que celle-ci puisse résulter des acteurs de terrain ne peut conduire qu’à un catalogue de solutions sans unité faute d’une vision politique globale, comme le montrent malheureusement les contributions des intellectuels comme les propositions des candidats en cette période de campagne électorale (le revenu universel, dans sa version libérale et dans sa version de gauche, occupe le haut du catalogue).

Une nouvelle théorie générale du commun

Depuis trente ans, l’Etat social à l’Ouest et l’Etat socialiste à l’Est ont perdu leur force attractive, tirée par la figure de Keynes pour le premier, par celle de Marx pour le second. Leur désaveu a laissé toute la place au marché capitaliste dont la machine inégalitaire ne connaît plus de limite, tournant à plein régime via l’exploitation sur le marché du travail et la spéculation sur le marché des actifs, pour le maximum de valeur pour l’actionnaire et ses nombreux affiliés. Tout ceci avec la bénédiction de l’Etat devenu néolibéral par la financiarisation de sa dette et de son patrimoine public, et par son encouragement à l’optimisation fiscale.

Mais, comme l’écrivait Hölderlin, « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Ainsi, sur les décombres de l’Etat et du tout marché, une nouvelle théorie générale du commun s’esquisse dont l’horizon est celui de la société du commun ; non pas en surplomb des forces sociales, mais en convergence avec nombre d’entre elles, qui se reconnaissent dans la solution globale et se retrouvent dans le langage commun dont elle est porteuse.

Cette théorie générale montre que la société du commun organise par la création de nouveaux droits la production en commun des ressources fondamentales (l’éducation, la santé, le logement, l’emploi, la culture, la mobilité, l’alimentation, l’énergie) de sorte que chaque personne puisse dans son cadre avoir la possibilité et la liberté de les choisir. Elle n’est ni contre la propriété privée du marché, ni contre la propriété publique de l’Etat, mais elle rajoute une troisième dimension à l’économie, celle du commun et de son droit d’usage ou d’accès, qui reconfigure et l’Etat et le marché.

« Ce sont à partir de nos actes que nous rêvons »

Si la société du commun fait convergence, c’est qu’elle a potentiellement deux alliés. D’une part, les nouvelles technologies du numérique, qui facilitent l’accès en commun. D’autre part, la crise écologique qui invite de nouveau à considérer la terre comme commune à l’humanité. Mais ni l’un ni l’autre ne sont suffisants pour produire une transition vers la société du commun. Celle-ci doit devenir un projet politique sur la base des nombreuses expériences qui lui donnent déjà réalité à plus ou moins grande échelle. Car « ce sont à partir de nos actes que nous rêvons ».

Les « territoires zéro chômeur de longue durée » font de l’emploi un commun à produire pour tous ; les groupements de coopération sociale et médico-sociale font de la santé un bien pour tous ; les communautés énergétiques font de l’énergie durable une ressource pour tous ; l’encyclopédie numérique fait de la culture un accès pour le grand nombre ; des plateformes solidaires font de l’alimentation locale un bien-vivre pour tous. On pourrait multiplier les exemples.

Terminons seulement sur trois chantiers prioritaires pour accélérer, en France, la transition vers la société du commun.

Le premier est celui de la monnaie en commun. Les monnaies locales pour leur fonction de moyen d’échange, le financement participatif (sous certaines conditions) pour sa fonction d’épargne et d’investissement, témoignent de micro-expérience de monnaie en commun. Il faut aller plus loin en créant pour la monnaie circulation et la monnaie épargnée et investie de nouvelles règles qui la désencastrent de la monnaie spéculative et la mettent au service de tous.

Le rôle majeur des territoires

Le second est celui de l’entreprise en commun. Le droit civil fait de la société de capitaux un commun entre actionnaires en laissant l’entreprise dans un non droit. Pour aller vers l’entreprise en commun, plusieurs chemins sont possibles, celui de la codétermination dans des conseils d’établissement ou celui du droit d’usage pour les salariés des établissements et de leurs actifs en cas de cessation d’activité par exemple.

Le troisième est celui de l’éducation en commun. La dernière enquête Pisa de l’OCDE le souligne, l’éducation en France est une affaire de classe. Les enfants des classes supérieures y réussissent, ceux des classes inférieures y échouent, creusant une inégalité dès le point de départ. L’accès aux écoles maternelles et primaires mais aussi aux crèches, est à revoir à l’aune du commun pour permettre à tous les enfants de tirer profit, au travers de petits groupes mixtes dans des classes ateliers, de ce « trésor commun de l’humanité » que sont les mots, les livres et les outils, pour reprendre le triptyque de Léon Bourgeois.

Dans cette transition vers la société du commun, les territoires joueront un rôle majeur en devenant le sujet politique du commun sur lesquels tout résident devrait avoir le droit de vote. Non pas des territoires repliés sur eux-mêmes, fermés, mais ouverts sur la mondialisation des territoires en lieu et place de celle des capitaux.

Hervé Defalvard est économiste à l’Université Paris-Est - Marne-la-Vallée