LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, un recueil de nouvelles sur l’amour, deux romans et un essai sur l’histoire mondiale de la France.

NOUVELLES. « Merci pour l’invitation », de Lorrie Moore

L'OLIVIER

L’Américaine Lorrie Moore publie des nouvelles depuis 1985. Son sujet de prédilection ? L’amour. De l’autre, de soi. Les attachements hasardeux, les conventions asphyxiantes, les générations en lutte, les couples en déroute, les amants décevants, les jonglages malheureux… D’accord, couple égale fiasco. Mais que se passe-t-il ensuite ? Ensuite, tout va de mal en pis, bien sûr. Les personnages de Moore sont si pitoyables ou mal à l’aise, leur comportement si absurde, qu’ils en deviennent attendrissants. L’un d’eux se rebelle. Il brûle son smoking de mariage dans le jardin, avec un briquet jetable au bout d’une perche, et s’étonne : « C’est incroyable ce qu’il a vite pris feu, le salaud ! » D’autres s’accrochent à la relation « comme ces bébés singes à qui on présente une mère faite de fil de fer » et qui, faute de mieux, s’attachent à cette « femme-cintre » parce qu’ils ne connaissent rien d’autre.

Quant à ceux qui divorcent, ils trimbalent leurs enfants entre deux domiciles « avec un empressement et des gestes si stéréotypés qu’ils font penser à un échange d’otages ». Humour, tension, concentration. Les mots de Moore passent de son cerveau à celui du lecteur tel un courant électrique. Florence Noiville

Merci pour l’invitation (Bark), de Lorrie Moore, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, L’Olivier, 240 p., 21 €

ESSAI. « Histoire mondiale de la France », sous la direction de Patrick Boucheron

SEUIL

Ce livre, qui rassemble 120 historiens et historiennes, est un projet collectif, une somme savante et un jalon historiographique. Une pierre, aussi, dans le jardin de ceux qui veulent découper des frontières et des généalogies toujours plus nettes. Le titre et son paradoxe, l’« histoire mondiale » du pays, sonnent comme une réponse aux simplifications du « roman national ». Loin d’un destin s’écrivant, de Clovis au général de Gaulle, dans une guerre constante contre l’extérieur, la nation se fabrique ici dans les courants d’air (et d’idées) : quelque chose de la France naît dans la tornade d’un monde battu par les migrations, les invasions, les explorations, les colonisations.

Une vision politique clairement revendiquée : vous avez dans les mains l’expression d’« une conception pluraliste de l’Histoire contre le rétrécissement identitaire », écrit Patrick Boucheron dans l’introduction. Une visée inhérente au choix de « mondialiser » l’histoire de France. Pour autant, l’objet « France » ne se dilue pas dans un vaste tableau. Pas plus qu’il n’est « déconstruit » dans un récit inverse à celui que les auteurs veulent combattre. On retrouve ici la France dans ses grandeurs et ses revers, dans ses glorieuses défaites aussi. Julie Clarini

Histoire mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron, Seuil, 796 p., 29 €.

ROMAN « Le Cas Malaussène. I. Ils m’ont menti », de Daniel Pennac

GALLIMARD

Un agent sportif véreux, qui spécule sur des joueurs mineurs. Un homme d’affaires, ancien ministre, naufrageur d’entreprises en difficulté. Face à ces deux incarnations du mal, une juge d’instruction intraitable et une bande d’apprentis justiciers, à la fois utopistes et lucides, qui ont un point commun : ce sont tous des membres de la tribu Malaussène, que l’on avait perdue de vue depuis dix-huit ans, et la parution d’Aux fruits de la passion (Gallimard, 1999).

Comme il se doit, les tours de passe-passe – on escamote voiture et politicien cynique aussi aisément que s’envolent les parachutes dorés – et les confrontations – ici spectaculairement mises en scène grâce à la vogue de la télé-réalité – rythment une intrigue où tout échappe au malheureux Benjamin. Même le titre et le sous-titre sont empruntés à d’autres, Le Cas Malaussène reprenant celui de l’essai que le commissaire Coudrier, dans le roman, compose sur le phénomène, et Ils m’ont menti celui du livre événement d’Alceste, un champion de la « vérité vraie », sur lequel Benjamin veille. Philippe-Jean Catinchi

Le Cas Malaussène. I. Ils m’ont menti, de Daniel Pennac, Gallimard, 320 p., 21 €.

ROMAN. « Le Pas suspendu de la révolte », de Mathieu Belezi

FLAMMARION

Vers le milieu du Pas suspendu de la révolte, Romain prend la parole. Quatrième narrateur du livre, neveu, fils et arrière-petit-fils des précédents, alors qu’il avance, les armes à la main, au milieu des foules, sa voix enfle, prend des proportions gigantesques et dérisoires pour annoncer à tout ce qui vit que c’est de l’histoire ancienne, la vie. A mesure qu’elles révèlent par l’énormité de leurs excès leur nature de fable, de fantasme d’adolescent enfermé, seul, dans sa chambre, rêvant de détruire ce qu’il craint de ne jamais connaître, ces scènes étourdissantes – Tueurs nés, d’Oliver Stone (1994), raconté par Claudel – deviennent le microcosme du roman. Sa voix est la voix de tous les autres narrateurs, en fusion. Il arrive que rien ne se passe une fois franchie la porte de la chambre. Il arrive qu’on soit maudit, à se révolter à tâtons contre le destin, à imaginer ce qu’on aurait été si on avait su échapper à l’héritage de ressentiment et de frayeur, dont Mathieu Belezi trace la courbe affolée. Florent Georgesco

Le Pas suspendu de la révolte, de Mathieu Belezi, Flammarion, 608 p., 21 €.