Mercredi 11 janvier, il ne restait plus que deux places disponibles dans l’ensemble de l’hôpital de Creil (Oise). Depuis début décembre, les urgences voient défiler les patients grippés. « En dix-neuf ans de métier, je n’ai jamais vu ça », témoigne Loïc Pen, médecin urgentiste, d’un ton pourtant calme. Afin de pallier la crise des lits, le directeur des affaires médicales, Fabrice Laurain, a ordonné l’arrêt des soins de l’unité de chirurgie ambulatoire, afin de débloquer treize places supplémentaires.

« On fait revenir du personnel de congé, on appelle les vacataires et les soignants font beaucoup d’heures supplémentaires », explique Fabrice Laurain, résigné. Ces mesures exceptionnelles font partie du dispositif sanitaire « hôpital sous tension », que le groupe hospitalier a déclenché vendredi 6 janvier, pour faire face à l’épidémie de grippe hivernale. La logistique de bouts de ficelle est la règle. Les médecins s’échangent des places d’hébergement entre leurs différents services, pour accueillir le flot ininterrompu de malades. Hélas, leur bonne volonté ne suffit pas.

Délais d’attente jusqu’à dix-huit heures

« Vendredi 6 janvier, un patient a dû rester trois heures dans l’ambulance avant que les brancardiers puissent le faire entrer dans l’hôpital. Un infirmier est monté dans le véhicule pour le diagnostiquer », s’indigne Loïc Pen. A l’accueil des urgences, mieux vaut être patient. Dans la nuit de ce même vendredi, certaines personnes ont attendu jusqu’à dix-huit heures d’affilée.

Autre mesure du dispositif « hôpital sous tension », la cellule de crise, tenue régulièrement. La prochaine a lieu jeudi 12 janvier. Dans les préfabriqués de l’administration qui jouxtent le centre hospitalier, les médecins des différents services se coordonnent pour savoir où il reste des lits disponibles. La situation est suivie de près par l’Agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France. « Je leur fais un rapport tous les jours en ce moment », glisse une secrétaire.

Malgré quelques lits dans les couloirs de l’hôpital, dans lesquels des patients attendent leur traitement ou une consultation, l’ambiance reste sereine. Pas d’infirmières qui courent partout, et il reste même quelques places assises dans la salle d’attente. « On ne va pas rajouter du fatras au fatras », philosophe Fabrice Laurain, qui précise que les grandes affluences ont lieu en début de soirée, « quand les parents rentrent du travail et se rendent compte que leurs enfants sont malades ». Ou alors le matin, au moment où les soignants à domicile font leur visite quotidienne et se rendent compte de l’état de faiblesse leurs patients les plus vieux.

Des personnes âgées, Loïc Pen en accueille beaucoup qui viennent à cause d’une grippe. Chez cette population vulnérable, « le virus agit comme un révélateur de pathologies chroniques, explique-t-il. Une pneumonie peut être soignée avec un masque à oxygène à domicile, mais si la grippe s’y ajoute, alors l’hospitalisation est inévitable ».

Au nom du principe de précaution, les maisons de retraite des alentours de Creil envoient leurs patients directement à l’hôpital, à la moindre suspicion de grippe. « Pourtant l’agence régionale de santé conseille à ces établissements d’estimer la situation sur place dans un premier temps », ajoute Loïc Pen.

Manque de médecins

La peur d’une grippe qui dégénère pousse aussi les parents à emmener leurs enfants aux urgences, sans consultation préalable. « J’ai eu un adolescent de 18 ans pour une grippe. Ses parents n’avaient même pas essayé de lui donner un Doliprane », relève Bérangère, une jeune infirmière. Pour désengorger l’accueil des urgences, elle a essayé de les convaincre d’aller voir un médecin généraliste. Mais « les parents ont dit qu’il y avait trop d’attente au cabinet », poursuit-elle.

Autour de Creil, les déserts médicaux progressent. Dans le canton de Liancourt, une commune à une dizaine de kilomètres du centre hospitalier, les douze médecins libéraux présents il y a encore quelques années ne seront bientôt plus que deux. Une raison évidente de l’afflux massif de grippés aux urgences, selon Fabrice Laurain et Loïc Pen. « La grippe n’est qu’un épiphénomène qui révèle nos difficultés de l’année », développe ce dernier. Manque de médecins libéraux et manque de lits à l’hôpital sont celles qui accablent cet ancien bassin industriel.

Si l’épidémie empire, le « plan blanc » sera déclenché. « Nous n’en sommes pas très loin », affirme Fabrice Laurain. La coordination entre les différents hôpitaux picards serait alors renforcée, par contact téléphonique permanent. Dans la salle de crise, une petite armoire banale contient le nécessaire à sa mise en place : une foule de dossiers détaillant les procédures administratives à suivre, des téléphones, un ordinateur portable, et des brassards fluo estampillés « direction ».