Charles Joseph-Oudin au tribunal correctionnel de Nanterre, en février 2011, lors de son procès contre Servier, qui commercialisait le Mediator. | Matthieu Rondel/Hanslucas

2017 sera son année. Outre que Charles Joseph-Oudin aura 35 ans, un deuxième enfant et qu’il passera son diplôme en droit de la santé et droit du dommage corporel, il se prépare à défendre des centaines de personnes victimes de laboratoires ou de médecins. Sur son bureau, les dossiers s’accumulent : Mediator, grippe A(H1N1), Dépakine, Essure… Autant de noms devenus synonymes de scandales sanitaires de grande ampleur.

L’avocat n’aime pas parler de « dossiers » : « Ce sont des personnes. » Une quarantaine de victimes du « dentiste boucher » de la Nièvre ; une trentaine qui souffrent depuis leur Lasik, cette technique de chirurgie ophtalmique qui permet de corriger myopies, presbyties et hypermétropies ; 150 personnes devenues narcoleptiques après avoir été vaccinées contre la grippe A(H1N1) ; près de 150 autres souffrant de douleurs et de fatigue chronique depuis la pose d’un implant de stérilisation définitive appelé Essure. Le 23 janvier, elles seront trois victimes de ce dispositif à se présenter à l’audience du tribunal de grande instance de Bobigny face aux avocats du groupe Bayer. « C’est le début de la procédure », annonce Charles Joseph-Oudin, qui est par ailleurs engagé dans une action de groupe contre Sanofi, la première de ce genre dans le domaine de la santé. Elle a été lancée par l’association des victimes de l’antiépileptique Dépakine afin d’obtenir des indemnisations pour les dizaines de milliers d’enfants exposés in utero à ce médicament.

« Tout ce qui touche au corps »

Plus qu’une spécialisation, Charles Joseph-Oudin évoque un engagement : « Quand on me demande ce que je fais, je réponds que je m’occupe de tout ce qui touche au corps. »

Rien ne le destinait pourtant à devenir la voix des victimes des laboratoires pharmaceutiques. Diplômé en droit bancaire et financier à Assas, en droit économique à Sciences Po et en droit des affaires à Oxford, il enchaîne logiquement les stages dans de grands cabinets anglo-saxons. Mais « défendre le grand capital m’assommait », explique l’avocat.

Après avoir prêté serment, en novembre 2009, il décide de s’installer à son compte. Un soir de la même année, il dîne chez sa tante Catherine Hill, épidémiologiste de renom et spécialiste de l’étude de la fréquence et des causes du cancer. Irène Frachon est là. Il l’écoute parler de ses patients qui tombent gravement malades ou meurent après avoir pris du Mediator, un médicament coupe-faim commercialisé par Servier. Son récit le passionne. En juin 2010, à Brest, il assiste au procès intenté par les laboratoires à la pneumologue. C’est là qu’il rencontre Céférina Cordoba, une patiente d’Irène Frachon. Elle sera sa première cliente. « J’ai eu confiance en lui tout de suite, se souvient-elle. J’ai senti l’homme calme, mais accrocheur, bagarreur. »

Les avocats François Honnorat (à gauche) et Charles Joseph-Oudin (au centre) avec Irène Frachon, la pneumologue à l’origine de l’affaire du Mediator (ici au tribunal de Nanterre, le 14 mai 2012).

À l’époque, elle hésite à intenter une action : elle ignore tout de la justice et craint de ne pas pouvoir tenir, car sa santé est fragile. En outre, les avocats acceptant de défendre des personnes malades et désargentées dans des dossiers complexes à l’issue incertaine ne sont pas légion. « On commence tout juste à toucher des indemnités sur le Mediator, reconnaît Charles Joseph-Oudin. C’est très long mais on ne peut pas faire payer ces personnes. On se contente des protections juridiques, on patiente dans la perspective d’un résultat, sur lequel on prendra un pourcentage. »

Garder l’esprit des débuts

En 2010, l’avocat décide de la représenter. Il lui dit de ne pas s’inquiéter, il s’occupera de tout. « Quand il a commencé, Charles était tout seul, raconte Céférina Cordoba. Sa mère lui donnait un coup de main pour le secrétariat. » Le jeune homme travaille dans son ancienne chambre ; une stagiaire occupe celle de sa petite sœur quand elle est au lycée. Bientôt les dossiers s’accumulent. Il faut s’agrandir. Charles Joseph-Oudin installe son cabinet dans le 14arrondissement de Paris, où travaillent désormais six avocats et trois stagiaires. Il tient à garder l’esprit des débuts : veiller à se rendre le plus disponible possible pour les clients. Même s’ils sont de plus en plus nombreux.

« Les labos font un travail remarquable, la médecine est exceptionnelle, mais il faut des règles plus simples, de la transparence. » Charles Joseph-Oudin

Le schéma est toujours le même. Une victime « très motivée » le contacte, il se plonge dans son dossier et en ressort avec l’impression d’une histoire qui se répète. Celle d’une femme – la plupart des victimes sont des femmes – qui prend un médicament, dont la santé se dégrade, et qui soupçonne des effets indésirables liés au produit. « C’est toujours un dossier qui se démultiplie pour donner une série de dossiers. Ces cas sont à la fois tous identiques et tous différents. »

À ses détracteurs qui l’accusent de traiter toutes les affaires de santé comme un nouveau Mediator, l’avocat réplique que « si un nouveau scandale Mediator, c’est un médicament qui présente des effets indésirables et, en face, des autorités et des labos qui ne font rien, alors, dans ce cas-là, c’est exactement la même chose ». Il assure ne pas être devenu un de ces sceptiques face à la médecine. « Les labos font un travail remarquable, la médecine est exceptionnelle, mais il faut des règles plus simples, de la transparence. » Le temps de la toute-puissance est révolu.