" Du salarié au responsable de l'abattoir, il y a un intérêt commun à ce que le bien être animal soit respecté"
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C’est un débat qui promet d’être musclé. L’Assemblée nationale va examiner en première lecture, jeudi 12 janvier dans l’après-midi, la proposition de loi « relative au respect de l’animal en abattoir », déposée par trente-trois députés de six groupes politiques (PS, LR, UDI, EELV, Front de gauche, radicaux) et visant à accroître la transparence et le contrôle dans les 960 établissements français de découpe. Le texte, le premier du genre, pris après des scandales à répétition l’an dernier, avait été vidé d’une partie de sa substance en commission des affaires économiques le 14 décembre : les parlementaires avaient supprimé deux des sept articles, dont la mesure phare rendant obligatoire la vidéosurveillance.

Le rapporteur Olivier Falorni (Charente-Maritime, divers gauche), qui avait dénoncé « un sabotage » et un projet « totalement dénaturé », a déposé deux amendements, lundi 9 janvier, pour rétablir les mesures « censurées ». « Je les ai retravaillées pour prendre en compte les arguments et les interrogations plus ou moins crédibles et légitimes des uns et des autres », explique-t-il.

Contrôle vidéo à partir du 1er janvier 2018

Le député propose ainsi de rendre obligatoire le contrôle vidéo seulement à partir du 1er janvier 2018, dans tous les lieux d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort des animaux. « Cela permet ainsi d’expérimenter la mesure auparavant, comme le demandent des députés ou le ministère de l’agriculture, mais avec une durée limitée, détaille-t-il. Autrement, demander seulement une expérimentation, c’est renvoyer la mesure aux calendes grecques, c’est de l’hypocrisie. »

L’amendement rappelle de nouveau que « la finalité exclusive de cette installation est la protection animale », en donnant un outil supplémentaire aux vétérinaires qui, faute d’être suffisamment nombreux, ne sont pas toujours présents sur les lieux où les animaux sont manipulés. Les images, conservées un mois au maximum, ne seront plus visibles que des services vétérinaires et des responsables de protection animale – ces salariés des abattoirs qui doivent s’assurer du traitement correct des bêtes – et non plus des directions des abattoirs, comme le prévoyait le texte initial. Elles seront utilisées à charge ou à décharge, en cas de suspicion de maltraitance animale.

« Il s’agit de rassurer les représentants du personnel qui craignaient que les directions ne puissent fliquer les salariés, poursuit Olivier Falorni. Tout est bordé juridiquement avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés. » Si un accord collectif le prévoit, les images pourront également être utilisées à des fins de formation des salariés.

Campagne sur les réseaux sociaux

Le 14 décembre, des députés de la commission des affaires économiques avaient dénoncé une mesure qui mettrait trop de « pression » sur les salariés, mais également trop coûteuse. « Selon des chiffres donnés en août 2016 par le Royaume-Uni, où le contrôle vidéo est presque totalement généralisé, 4 caméras coûtent entre 800 et 1 000 euros, soit très peu par rapport au budget des abattoirs, rétorque Olivier Falorni. Sans compter que la mesure permettrait de restaurer le lien de confiance qui s’est délité entre les professionnels de la viande et les consommateurs. » Selon un sondage IFOP pour la Fondation Brigitte Bardot réalisé en octobre, 85 % des Français se disent favorables à la vidéosurveillance dans les abattoirs.

La défense de cette mesure – proposition clé du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les abattoirs, également présidée par M. Falorni – a fait l’objet d’une campagne intensive des associations sur les réseaux sociaux. Dix ONG de protection animale ont par ailleurs cosigné un courrier à l’attention des 577 députés, afin de les inviter à soutenir l’amendement d’Olivier Falorni.

Lire les préconisations de la commission d’enquête : Des caméras dans les abattoirs, pour lutter contre les maltraitances animales

« L’expérimentation se pratique déjà dans certains abattoirs en France et n’a pas besoin d’une disposition législative, car il n’y a aucun frein juridique à son installation, indique Agathe Gignoux, chargée des affaires publiques à l’ONG Compassion in World Farming. Ce n’est qu’une façon de repousser le problème. Au contraire, une loi serait utile pour encadrer le contrôle vidéo de la même façon pour tous, en protégeant ainsi de façon stricte les salariés concernés. »

« Ce serait une première étape, plutôt symbolique, estime de son côté Sébastien Arsac, porte-parole de L214. Il faudrait que par la suite les images puissent être vues par des tiers, notamment des associations, et pas seulement les services vétérinaires qui ne dénoncent pas toujours les actes de maltraitance. »

Droit de visite des parlementaires

Au-delà de la polémique des caméras, Olivier Falorni a également déposé un amendement pour rétablir le droit de visite des parlementaires dans les abattoirs, accompagnés par les services vétérinaires. La nouvelle rédaction du texte supprime cette possibilité initialement prévue pour les journalistes, « en raison de l’inquiétude que cela avait suscitée chez les professionnels ». « Par ailleurs, cet article ne s’insère plus dans le titre II de la proposition de loi relative au contrôle, mais dans le titre I, relatif à la transparence », précise Olivier Falorni.

Jeudi, l’Assemblée doit en outre se prononcer sur les autres articles de la proposition de loi qui avaient été votés en commission. Selon ces dispositions, un agent des services vétérinaires devra ainsi être en permanence présent aux postes d’étourdissement et de mise à mort dans les abattoirs de boucherie de plus de 50 salariés. Actuellement, le rôle des 1 200 agents de la direction générale de l’alimentation est davantage tourné vers l’inspection sanitaire que le bien-être animal.

Le texte instaure également, auprès de chaque abattoir, un comité local de suivi de site, réunissant exploitants, élus locaux, éleveurs, services vétérinaires, bouchers et associations de protection animale. A l’échelle nationale, un Comité d’éthique des abattoirs serait aussi mis en place, rassemblant les mêmes acteurs, avec pour mission d’émettre des « avis sur l’évolution de la législation et de la réglementation relative à la protection animale en abattoir ».

Enfin, la maltraitance des animaux en abattoir et dans les entreprises de transport serait qualifiée de délit pénal – une disposition à l’origine issue du projet de loi Sapin II, mais censurée par le Conseil constitutionnel.

Lire l’éditorial du « Monde » : Abattoirs : comment nous tuons les bêtes

Scrutin public

« Je vais demander un scrutin public sur le texte, de sorte que chaque député devra prendre ses responsabilités, affirme Olivier Falorni. J’espère que mes collègues voteront en conscience et non selon les consignes. »

Le parlementaire était parvenu de justesse à inscrire le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée, avant la fermeture des travaux fin février, profitant d’une niche parlementaire de son groupe. La proposition de loi devra ensuite être examinée par le Sénat lors de la prochaine législature, après les élections législatives et sénatoriales de juin et septembre, avant de retourner à l’Assemblée pour la seconde lecture.

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