Faïez Sarraj, le 8 janvier à Tunis. | FETHI BELAID / AFP

C’est un signe supplémentaire de la déliquescence du gouvernement libyen d’« union nationale » de Faïez Sarraj, activement soutenu par les Nations unies et les Occidentaux, qui a une nouvelle fois étalé son impotence, jeudi 12 janvier, en se laissant défier sans réagir par son principal opposant à Tripoli. Trois ministères – ceux de la défense, du travail et des « martyrs » – ont été occupés plusieurs heures par les partisans armés de Khalifa Al-Ghwell, le « premier ministre » d’un « gouvernement » concurrent, dit de « salut national », qui avait été délogé fin mars 2016 par M. Sarraj lui-même. Régnant de facto sur la Tripolitaine (ouest) entre 2014 et 2016, l’équipe de M. Ghwell était l’émanation du bloc Fajr Libya (Aube de la Libye), une coalition « révolutionnaire » au sein de laquelle les forces islamistes exerçaient une influence significative. L’affrontement entre celle-ci et le camp anti-islamiste, rassemblé autour du général Khalifa Haftar, avait plongé la Libye dans la guerre civile à l’été 2014.

Est-ce le retour à la case départ ? La fermeture annoncée de la parenthèse Sarraj, l’homme que l’ONU a porté à bout de bras pour incarner et mettre en œuvre l’accord de Shkirat (Maroc) signé en décembre 2015 dans le but d’arracher la Libye au chaos post-Kadhafi ? L’aisance avec laquelle M. Ghwell nargue à Tripoli son ­rival révèle en tout cas un climat, celui de la montée générale du ­désenchantement face à l’incurie du Conseil présidentiel (la direction politique du gouvernement d’« union nationale ») de M. Sarraj.

L’accord de Skhirat est « mort »

Jeudi, M. Ghwell s’est offert le luxe de tenir une conférence de presse au cœur du ministère de la défense, dont la sécurité n’a opposé aucune résistance. En ce lieu éminemment symbolique, il a eu tout le loisir de proclamer que le Conseil présidentiel avait « échoué » et que l’accord de Skhirat « imposé par les étrangers » était « mort ». Au ministère du travail, M. Ghwell a également fait irruption « sans que les gardes de sécurité ne l’en empêchent », selon un haut cadre du ministère joint au téléphone par Le Monde, pour s’entretenir avec les fonctionnaires de leurs problèmes de salaires et de conditions de travail.

Le coup de force de M. Ghwell est plus politique que militaire. Il vise à prouver que « le Conseil présidentiel ne maîtrise pas la sécurité à Tripoli » dans un contexte de « déception populaire face aux difficultés de la vie quotidienne », décode un fonctionnaire tripolitain. L’amertume de la population est vive, en effet, face aux coupures d’électricité, à la crise persistante de liquidités bancaires et à la montée de l’insécurité, en particulier les enlèvements crapuleux.

Plus qu’un coup d’Etat classique, la stratégie de M. Ghwell semble relever du grignotage territorial. Déjà, à la mi-octobre, ses partisans s’étaient emparés du complexe Rixos, enclave hôtelière au cœur de Tripoli transformée en siège des assemblées postrévolutionnaires. De proche en proche, M. Ghwell fait bouger les lignes, jetant le doute parmi les milices de Tripoli qui avaient initialement soutenu M. Sarraj en raison de l’appui international qu’il pouvait afficher. « La géographie militaire de la capitale est en train de se recomposer, souligne un observateur international basé à Tunis. Parmi les milices pro-Sarraj, certaines se rapprochent de Ghwell tandis que d’autres adoptent un profil bas, presque ­embarrassées par leur soutien au Conseil présidentiel. » L’absence de réaction aux événements de jeudi illustre la décomposition du soutien militaire à M. Sarraj.

Les opposants à ce dernier se sentent d’autant plus encouragés à passer à l’action que le Conseil présidentiel est traversé par des tensions internes. La démission, début janvier, de Moussa Al-Koni, vice-président du conseil, qui a déclaré que l’accord de Skhirat était « impossible à appliquer », a porté un rude coup à une instance déjà fragile. A cette atmosphère délétère à Tripoli s’ajoute, pour M. Sarraj le défi militaire et diplomatique croissant que lui pose en Cyrénaïque (Est) le maréchal Khalifa Haftar, l’homme aujourd’hui le plus puissant en Libye et qui a toujours refusé de le reconnaître.