Le ravitailleur  « Marion Dufresne », lors de sa mission en décembre 2016. | ©KITO DE PAVANT / BASTIDE OTIO / MADE IN MIDI

« Il va falloir venir me chercher. » Ces quelques mots résument la déception de Kito de Pavant, résigné, à la fin d’une aventure de plusieurs années. Le skippeur de Bastide Otio sait que le Vendée Globe, la course à la voile autour du monde en solitaire, est fini pour lui. Le 6 décembre, alors qu’il navigue en dixième position au nord des îles Crozet, archipel du sud de l’océan Indien, Kito de Pavant heurte un objet flottant non identifié, un OFNI. Le choc est brutal, le monocoque s’arrête net, le puits de quille est arraché, c’est la voie d’eau.

Rencontré à Paris le 12 janvier, Kito de Pavant se souvient :

« Cela a été assez rapide. Je vois très vite que je ne peux rien faire. Je suis dans une situation et dans un environnement très défavorables. Je suis loin de tout. J’appelle Hervé Giorsetti, le chef de mon équipe technique, et je lui explique que je suis dans la merde et je ne sais pas comment je vais sortir de là. »

L’opération de sauvetage est déclenchée par la direction de course et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris-Nez. Après analyse de la situation, la seule solution est de dérouter le Marion Dufresne II, le ravitailleur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ce navire de la CMA-CGM est situé à 110 milles nautiques (un peu plus de 200 km) au nord de l’endroit où se trouve Kito de Pavant, soit une dizaine d’heures de navigation.

La vie à bord du « Marion Dufresne », le ravitailleur des Terres australes et antarctiques françaises, qui a secouru Kito de Pavant le 7 décembre 2016. | ©KITO DE PAVANT / BASTIDE OTIO / MADE IN MIDI

« C’était un miracle que le Marion Dufresne soit à proximité et qu’il aille droit sur moi », confie Kito de Pavant. L’équipage du ravitailleur, arrivé à proximité de Bastide Otio à la tombée de la nuit, ne peut intervenir tout de suite. Décision est prise d’attendre le jour. Mais en fin de nuit la situation s’aggrave, le skippeur n’a plus les moyens suffisants pour endiguer la montée des eaux. Un zodiac est mis à l’eau. Kito de Pavant est secouru et accueilli à bord du Marion Dufresne.

Trois participations, trois abandons : « C’est le sort qui s’acharne »

« Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ! », constate Kito de Pavant, qui avait réussi à prendre le départ de son troisième Vendée Globe, après deux abandons en 2008 et 2012 dans les premières heures de course :

« Globalement, tout se passe bien. Les trois premiers jours je suis tendu et une fois que je passe le Cap de Bonne-Espérance, j’ai l’impression de pouvoir enfin vivre un vrai Vendée Globe. C’est plutôt pas mal ! J’explose même mon record, je reste trente jours en mer. Et puis patatras ! C’est le sort qui s’acharne. »

A bord du Marion Dufresne, une nouvelle aventure commence pour le skippeur héraultais : un périple de trois semaines vers les îles Crozet, Kerguelen et Amsterdam, ces « îles désolées » aux confins de l’océan Indien dans les quarantièmes rugissants.

Kito de Pavant à bord du ravitailleur « Marion Dufresne », après avoir abandonné lors du Vendée Globe 2016. | ©KITO DE PAVANT / BASTIDE OTIO / MADE IN MIDI

Trois semaines de calme avant de débarquer fin décembre à La Réunion. Trois semaines dans un environnement de marins, qui ont aidé le skippeur. A bord, Kito de Pavant a rencontré de « belles personnes » : l’équipage de la CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime), une cinquantaine de personnes, mais aussi des scientifiques et quelques touristes qui s’offrent une croisière dans ces terres australes. Kito de Pavant raconte :

« L’équipage a été à la fois très discret et très présent. Ils m’ont préservé pendant ces trois semaines. Ils m’ont fourni un ordinateur, ils m’ont aidé pour la communication, ils m’ont donné des contacts pour tenter de récupérer mon bateau. »

Car pendant les premiers jours, la seule idée de Kito de Pavant sera de sauver son monocoque.

Abandonner le bateau, « deuxième coup dur »

« Je culpabilisais d’abandonner mon bateau. Mais la suite des événements m’a donné raison, je ne le regrette pas. Une fois à bord du Marion Dufresne, avec mon équipe, on a regardé ce qui était possible de faire à partir des Kerguelen car le bateau dérivait dans cette direction. Il y a sept gros chalutiers sur l’île, nous leur avons fait des propositions financières », explique Kito de Pavant. Tout était à peu près calé, il ne restait plus qu’à attendre des conditions météorologiques favorables.

Mais au bout de cinq jours, les balises de Bastide Otio cessent d’émettre. Pour le skippeur, le bateau a chaviré. Et sans les balises, le monocoque n’est plus localisable. C’est la fin de tous les espoirs :

« C’est le deuxième coup dur. Je m’étais accroché au truc. J’étais persuadé qu’on allait y arriver. J’étais prêt à rester à Kerguelen le temps qu’il fallait. Et puis cela ne s’est pas fait. C’est le gros coup dur. »

« Marcher au milieu des manchots, ce n’est pas donné à tout le monde », Kito de Pa | ©KITO DE PAVANT / BASTIDE OTIO / MADE IN MIDI

« J’ai vécu quelque chose d’extraordinaire que je n’avais pas anticipé »

Le Marion Dufresne continue sa route à travers les îles australes. A son bord, Kito de Pavant continue à travailler, à envisager l’avenir. Il reste en retrait, lit beaucoup… des histoires d’aventuriers qui se sont plus ou moins bien terminées. Le skippeur l’avoue : il n’a pas profité de ce voyage imprévu :

« J’étais préoccupé par mon avenir et les solutions possibles pour finir le programme. Et, pour l’instant, on n’a rien trouvé. J’ai pu profiter de ce voyage imprévu par moments, mais je ne suis pas beaucoup allé à terre. Les rares fois où je suis descendu, j’ai découvert des endroits fabuleux. Marcher au milieu des manchots, ce n’est pas donné à tout le monde. Cela m’a donné envie de revenir avec l’esprit plus libre. J’ai vécu quelque chose d’extraordinaire que je n’avais pas anticipé, mais que je n’ai pas pu apprécier à sa juste valeur. J’en suis très conscient. Je suis passé à côté de quelque chose, mais je n’étais pas dans une situation psychologique favorable. »
De la Jacques Vabre à la Route du Rhum 2018, en passant par le Tour de France

L’avenir ? C’est de finir le programme Bastide Otio et donc de tout faire pour être au départ de la Transat Jacques Vabre, à l’automne 2017. Le skippeur explique :

« On a la nécessité de faire la Jacques Vabre. On a un contrat, mais j’en ai surtout envie. Je veux repartir. »

Kito de Pavant se projette encore plus loin avec la Route du Rhum 2018. Deux courses qui lui permettent d’envisager l’achat d’un bateau autre qu’un monocoque Imoca, le bateau du Vendée Globe. Peut-être un multicoque. Toutes les pistes sont ouvertes.

Dans l’avenir immédiat, Kito de Pavant va prendre le rôle de manager d’une équipe aux couleurs du Sud, pour le prochain Tour de France à la voile, avec à son bord Billy Besson, quadruple champion du monde de Nacra 17, et Pierre Leboucher. De belles aventures en perspective pour un skippeur qui a soif de projets.