Dans l’usine Essilor de Ligny-en-Barrois (Meuse), en 2015. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Le contrat a été signé, à Paris, dimanche 15 janvier en fin d’après-midi. Les dirigeants politiques français et italiens ont été prévenus juste après : Essilor et Luxottica, les plus grandes entreprises d’optique des deux côtés des Alpes, ont décidé de fusionner. Le projet, officialisé lundi 16 janvier avant l’ouverture des marchés financiers, vise à créer le champion européen des lunettes. Un groupe d’environ 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, à forte coloration française, dont le poids en Bourse devrait frôler les 50 milliards d’euros. C’est l’une des plus grandes fusions-acquisitions engagées en Europe depuis des années.

D’un côté, le champion mondial des verres. De l’autre, celui des montures, notamment de lunettes de soleil, avec des marques comme Ray-Ban et Oakley. Jugeant leurs deux entreprises complémentaires, les dirigeants français et italiens avaient déjà entamé des discussions sur un possible rapprochement, il y a un peu plus de deux ans, sans succès. Leonardo Del Vecchio, le patriarche qui a fondé Luxottica en 1961 dans un petit bourg de la Vénétie, n’était pas encore prêt à lâcher son très cher bébé.

« Un big bang pour le secteur »

Sans doute les difficultés rencontrées dans la recherche d’un successeur, conjuguées à la disparition de plusieurs grands dirigeants italiens, dont le patron de Ferrero, en 2015, et celui de la chaîne de distribution Esselunga, en 2016, ont-ils amené le milliardaire de 81 ans, l’une des plus grandes fortunes du pays, à prendre, enfin, la question à bras-le-corps. Et à trouver les conditions d’une fusion avec Essilor, son principal fournisseur en verres correctifs. « Un vrai big bang pour le secteur, qui pourrait inciter d’autres acteurs du secteur à se rapprocher », anticipe un de ceux qui ont suivi les discussions.

Juridiquement, l’opération révélée lundi consiste en une prise de contrôle de Luxottica par Essilor. Dans un premier temps, M. Del Vecchio va apporter à Essilor les 62 % qu’il détient dans son groupe, en échange d’actions de l’entreprise française. Essilor lancera ensuite une offre publique d’échange pour permettre aux actionnaires minoritaires de Luxottica de participer à la nouvelle aventure aux mêmes conditions financières, c’est-à-dire sans prime ni décote. Ils pourront échanger 1 000 titres Luxottica contre 461 actions Essilor.

A l’issue de ces opérations, M. Del Vecchio sera l’actionnaire de référence du nouvel ensemble, renommé EssilorLuxottica. Il devrait détenir environ un tiers du capital, mais ses droits de vote seront limités à 31 %. Il deviendra, en outre, PDG du groupe, tandis qu’Hubert Sagnières, le patron actuel d’Essilor, sera vice-PDG.

Au 7e rang du CAC 40

Le futur EssilorLuxottica devrait ainsi devenir, en pratique, au moins au démarrage, une maison franco-italienne. Son siège se situera à Charenton (Val-de-Marne). Elle sera essentiellement cotée à Paris, même si les actions vont continuer à être traitées de façon sans doute transitoire à Milan et à New York.

Sur le papier, la nouvelle entité pourrait se situer au 7e rang du CAC 40 par sa valeur boursière. Son patron et premier actionnaire sera, lui, un Italien très francophile : M. Del Vecchio passe une bonne partie de sa vie à Beaulieu (Alpes-Maritimes), sur la côte d’azur. Le conseil d’administration sera composé de huit personnalités issues d’Essilor et de huit autres provenant du camp italien.

Le projet, qui doit encore recevoir le feu vert des autorités de la concurrence de nombreux pays, devrait permettre des économies d’échelle et autres synergies évaluées entre 400 millions et 600 millions d’euros. Pour les dirigeants, le mariage, qui ne prévoit ni fermeture d’usines ni licenciements, doit surtout permettre d’avancer plus vite. Notamment pour mettre au point des lunettes connectées, comme Google a tenté de le faire sans grand succès. Et pour livrer plus rapidement des lunettes complètes à ceux qui en ont besoin.

M. del Vecchio est conseillé dans ce dossier par la banque Mediobianca, et les juristes de BonelliErede et Bredin Prat, tandis que Rothschild et Citigroup sont à la manœuvre côté français, avec les avocats de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton.