Manifestation devant le siège social d’Uber, à Paris, le 13 octobre 2015. | THOMAS SAMSON / AFP

Installée dans le quartier des « 4 000 » à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), la pépinière d’entreprises La Miel accompagne des porteurs de projets et des dirigeants qui souhaitent créer ou développer leur très petite entreprise (TPE). Son responsable, Ali Celik, analyse l’influence de Uber dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne.

Uber annonce faire travailler 15 000 chauffeurs en France dont la moitié serait issue des quartiers populaires dans lesquels le taux de chômage est supérieur à 15 %. Cette entreprise est-elle une chance pour les habitants de ces quartiers ?

La réponse doit être nuancée. En termes d’emplois, il y a un impact positif indéniable. Mais le modèle économique de ce type d’entreprise pose question, car les chauffeurs qui travaillent pour elle doivent accepter de nombreuses concessions. Ces derniers sont très souvent des autoentrepreneurs, qui ont besoin de travailler énormément pour boucler leurs fins de mois et rembourser les crédits contractés. Certes, c’est aussi la réalité de nombreux salariés. Mais avec Uber, les chauffeurs cotisent très peu pour leur protection sociale et leur retraite. Cette situation risque de créer une nouvelle population de travailleurs à la fois pauvres et mal couverts. Et qui dans un avenir proche sera peut-être amenée à disparaître. Le patron d’Uber ne répète-t-il pas que son objectif est d’avoir que des voitures autonomes, donc sans conducteur ?

Uber défend son modèle en disant que « c’est mieux que rien pour ces jeunes » qui n’ont pas beaucoup d’autres opportunités professionnelles…

A court terme, il assure, en effet, une forme de cohésion sociale puisqu’il répond à une situation de chômage de masse et génère de l’activité économique. Mais, à moyen et long terme, avec ces nouveaux modèles économiques, je m’interroge sur le financement de notre système de protection sociale. Si je suis totalement pro-entreprise, il faut que le cadre soit bien défini et permette de maintenir notre modèle social.

Peut-on définir un profil type des chauffeurs travaillant avec Uber ?

Ce sont en majorité des hommes, entre 20 et 30 ans, peu diplômés et habitant des quartiers populaires. Leur niveau de formation ne leur permet pas, ou peu, de faire autre chose. En France, l’accès à l’emploi est difficile : il faut disposer d’un capital culturel et économique suffisant. Or, il est très aisé d’intégrer Uber. Une fois entrés, ces jeunes se sentent valorisés. Ils ont un métier. Quand ils roulent dans une belle voiture, bien habillés, ils se disent : oui je suis important.

Ces jeunes ne risquent-ils pas alors de tomber de haut si leur aventure entrepreneuriale échoue ?

Le département de la Seine-Saint-Denis connaît une croissance importante du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (+ 10 000 entre 2013 et 2015). Beaucoup sont des anciens autoentrepreneurs, notamment d’anciens chauffeurs de VTC. Si Uber décide à nouveau d’augmenter ses commissions, comment ces personnes vont-elles payer les crédits contractés pour lancer leur entreprise, se former, acheter ou louer une voiture ? C’est un vrai problème.

Par ailleurs, s’il existe en France la volonté d’encourager la création de start-up dans les quartiers, cela doit s’inscrire dans une stratégie globale. Il faut se doter des moyens nécessaires pour donner réellement la chance aux jeunes. On s’aperçoit, en effet, que les entreprises qui perdurent plus de trois ans sont celles qui sont dirigées par des personnes diplômées, par des insiders du marché du travail. Les autres, non diplômés, sont aussi incités à créer leur business pour éviter le chômage. Mais ils n’ont pas le savoir-faire nécessaire. Après leur brève aventure, ils reviennent donc dans le système social sans ressources. Le risque de désillusion est réel.