Vue de la City, le 17 janvier 2017 à Londres. | BEN STANSALL / AFP

Philippe Bernard, le correspondant du Monde à Londres, a répondu, mardi 17 janvier, aux questions des lecteurs du Monde.fr sur le discours de Theresa May au sujet du Brexit.

Camembert et liberté : Que signifie le fait de faire voter l’accord par le Parlement britannique ?

Philippe Bernard : Theresa May a annoncé que l’accord final avec l’Union européenne serait soumis aux deux chambres du Parlement. Elle ne prend donc aucun engagement sur la consultation du Parlement au moment de sa décision de lancer la procédure du Brexit. La Cour suprême du Royaume-Uni doit dire la semaine prochaine si elle sera obligée ou non de le faire.

Pour ce qui est de l’accord final, il est difficile de prévoir un vote qui ne devrait intervenir qu’en 2019 sans avoir la moindre idée du contenu de l’accord final. L’opinion, et donc les députés, peuvent changer d’avis si la situation économique venait à s’aggraver, ce qui n’est absolument pas le cas pour le moment. Mme May a été interrogée ce matin sur ce qu’elle ferait si le Parlement rejetait l’accord. Elle n’a pas répondu à cette question, se contentant d’affirmer qu’elle pensait que le vote serait positif. 

Robin : Le Royaume-Uni essaye-t-il de quitter l’Union européenne « avec le beurre et l’argent du beurre » comme cela avait été dénoncé par certains, ou bien se dirige-t-on vers une séparation équitable ?

C’est Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères, qui a lui-même utilisé cette expression, et le discours de Theresa May, aujourd’hui, n’exclut pas cette hypothèse. C’est un mélange entre un discours assez dur afin d’établir un rapport de force avec l’UE et un discours conciliant destiné à convaincre les Européens des bonnes intentions du gouvernement britannique à leur égard.

Sur le point le plus important, celui des barrières douanières pour les exportations britanniques vers l’UE, Mme May semble en effet avoir voulu le beurre et l’argent du beurre : elle souhaite négocier un accord de libre-échange avec l’Union européenne mais souhaite aussi pouvoir négocier de tels accords en solo avec le reste du monde.

Or cette possibilité n’est ouverte que si le Royaume-Uni quitte l’union douanière européenne, ce que Theresa May n’a pas dit explicitement.

Sophie : Mme May s’est-elle positionnée sur des mesures destinées à rassurer la City de Londres (notamment concernant le passeport financier) ?

Non, elle n’a pas explicitement répondu à cette question, mais l’une des choses nouvelles qu’elle a dites est qu’elle souhaitait des accords transitoires pour éviter « l’effet falaise » à l’issue des négociations. C’est un point crucial qui reste à négocier avec l’UE.

Les vingt-sept membres de l’UE considèrent en effet que la procédure de deux ans prévue par l’article 50 du traité de Lisbonne concerne seulement la négociation sur le divorce proprement dit, mais pas sur les futures relations économiques entre Londres et l’UE.

Les Britanniques souhaiteraient que cette dernière question fasse l’objet de discussions parallèles pour éviter que les deux ans de négociations ne débouchent sur le vide. 

Capucine : J’avais lu que May allait faire des propositions allant vers un « paradis fiscal » britannique, peut-être pour rassurer la City. Qu’en est-il ?

Oui, Mme May a repris les menaces proférées par son ministre des finances dimanche dernier : le Royaume-Uni pourrait devenir un paradis fiscal si l’Union européenne ne lui ouvre pas ses marchés. La première ministre a indiqué qu’en l’absence d’accord commercial satisfaisant avec l’UE Londres se sentirait libre de « changer les bases du modèle économique britannique » et aurait « la liberté de fixer des taux d’imposition compétitifs ».

Cette question du dumping fiscal et social risque donc d’être un leitmotiv de la négociation mais on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une forme de bluff. Rien n’empêche aujourd’hui le Royaume-Uni de faire baisser son taux d’imposition sur les sociétés, ce qu’il ne manque pas de faire d’ailleurs. Londres a déjà décidé de faire passer de 20 % à 17 % le taux de l’impôt sur les sociétés à partir de 2020. Il aura alors le taux le plus bas de tous les pays du G20. 

Tom : L’Angleterre perdrait-elle beaucoup financièrement à quitter le marché unique (avec ses exportations en Europe) ?

Les Britanniques répètent que le continent a plus à perdre qu’eux-mêmes dans le Brexit, mais c’est une affirmation contestable : l’Union européenne absorbe 46 % des exportations britanniques de biens et de services alors que les Vingt-Sept ne réalisent ensemble que 5 % de leur commerce extérieur avec le Royaume-Uni. C’est la raison pour laquelle Theresa May a insisté sur sa volonté de négocier un accord de libre-échange et d’obtenir « le plus grand accès possible au marché unique sur la base de la réciprocité ». Une grande partie de la réponse dépend de la solution qui sera retenue pour le secteur financier et bancaire qui pèse très lourd dans l’économie britannique.

Vinz : Comment se dessine le rapport de force entre UE et Royaume Uni pour les discussions à venir ?

Pour l’instant, il semble plutôt favorable aux Vingt-Sept car le Royaume-Uni est en position de demandeur. L’unité de vue manifestée jusqu’à présent par les dirigeants des Etats continentaux est aussi un point fort.

Dans le même sens joue l’article 50 du traité de Lisbonne qui limite impérativement à deux ans la durée de la négociation. A partir du jour où Mme May enclenchera cette procédure, la montre jouera en faveur des Vingt-Sept. Faute d’accord au bout de deux ans, le divorce interviendrait brutalement et causerait un choc certain des deux côtés de la Manche mais probablement davantage côté britannique.

Mardi, Mme May a prétendu que, pour elle, il valait mieux qu’il n’y ait pas d’accord plutôt qu’un mauvais accord. Mais le résultat des élections en France et en Allemagne pourrait influer sur l’accord final. De même, il apparaît clairement que Londres fera tout pour exploiter les divisions qui pourraient survenir entre les Vingt-Sept. 

Sarah : Pour la question des étudiants et travailleurs venant de l’UE et habitant en Angleterre (et vice versa), que va-t-il se passer ?

Là dessus, rien de neuf, Mme May s’est dite partisane de la préservation des droits des expatriés mais seulement s’il existe une réciprocité. Autrement dit, si les droits au séjour des Britanniques sur le continent sont également maintenus.

Il y a donc fort à parier que l’avenir des expatriés serve de monnaie d’échange dans les négociations et que leur sort ne soit fixé qu’à la toute dernière minute, soit en 2019.

Sébastien : Le secteur financier britannique peut-il s’effondrer avec cette décision ?

Theresa May n’a rien déclaré qui permette de répondre précisément à cette question. Au moment où nous parlons et, contrairement à ce qui s’était passé lors de ses derniers discours, la livre sterling a tendance à monter. Mais les déclarations de la première ministre ne lèvent pas les multiples incertitudes qui pèsent sur le Brexit. Elle a fixé quelques objectifs mais rien ne dit qu’ils seront atteints au terme de la négociation.

L’impossibilité de prévoir l’avenir qui exaspère tellement la City continue et, si les performances de l’économie britannique sont pour l’heure bien meilleures que ce que les prévisions indiquaient, la plupart des experts s’attendent à un choc au cours de l’année 2017.

Armogan : L’annonce de la sortie du Royaume-Uni de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’union douanière est-elle anecdotique ou a-t-elle son importance ? Quel était le rôle de cette union douanière ?

Theresa May a été claire : le Royaume-Uni va cesser d’être membre du marché unique. Mais, sur l’union douanière, à laquelle adhère également la Turquie, et qui non seulement permet des échanges sans droits entre ses membres mais fixe des droits de douanes uniques pour l’extérieur (tarif extérieur commun), elle a été tout à fait ambiguë, puisque, encore une fois, elle souhaite que son pays puisse exporter sans droits de douane vers l’UE, mais puisse aussi négocier en solo des accords de libre-échange avec les grandes puissances américaines et asiatiques. 

Remi : Est-ce que vous êtes surpris de l’apparente confiance de Theresa May dans son projet, son ambition et la manière « positive » mais ferme qu’elle envisage ? Alors qu’on la croyait dans une situation délicate, donnée un peu perdante ?

Le discours de Theresa May avait été annoncé depuis des semaines et considéré comme un texte historique fondant les nouvelles relations avec le continent et le reste du monde. Elle l’a prononcé avec une grande solennité devant ses ministres et un parterre d’ambassadeurs sous les ors de Lancaster House.

Pour elle, qui n’a pas fait campagne en faveur du Brexit, c’est un moment capital destiné à montrer à la fois à l’opinion britannique que le message du référendum a été entendu, que le Brexit est en marche, et à l’opinion mondiale que le Royaume-Uni est un pays « ouvert et tolérant », mais qui a adressé un message clair : « Le Brexit doit permettre de contrôler le nombre d’Européens qui viennent au Royaume-Uni et c’est ce que nous allons faire », a-t-elle annoncé.

L’avenir dira si elle a inversé les commentaires défavorables qui dans la presse assuraient qu’elle marchait à l’aveuglette, sans véritable plan pour le Brexit.

Aldapan56 : Qu’en sera-t-il des accords du Touquet fixant la frontière à Calais et non sur le territoire anglais ?

Mme May n’a absolument pas abordé cette question, tout simplement parce qu’elle n’est pas liée juridiquement au Brexit : les accords du Touquet sont un arrangement bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, qui ne peut être modifié que par une décision politique de l’un des signataires. La question devrait d’ailleurs être débattue lors de la présidentielle française. 

MLa : Le Royaume-Uni garderait-il dans sa « manche » une carte ultérieure de négociation liée à sa capacité militaire et nucléaire ?

Oui, elle a mentionné que son pays était avec la France le seul de l’UE à disposer de l’arme nucléaire et d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. La puissance militaire britannique et son influence diplomatique pourraient effectivement être utilisées comme un atout dans la négociation.

Mais la lune de miel actuelle entre Theresa May et Donald Trump, si elle dure, pourrait faire apparaître la première ministre britannique comme l’alliée d’un président américain qui souhaite le démantèlement de l’Union européenne.

Maxime : Quelle sera la position du Royaume-Uni entre d’un côté les USA et de l’autre l’Union européenne ?

Le Royaume-Uni tient énormément à ce qu’il appelle sa « relation particulière » avec les Etats-Unis, et Mme May s’est beaucoup activée ces dernières semaines pour courtiser Donald Trump. Pour ses étrennes, elle lui a envoyé la copie d’un discours de Churchill magnifiant l’amitié anglo-américaine, mais, surtout, elle a opéré une volte-face sur la colonisation de la Cisjordanie par Israël afin de plaire au président américain élu.

Alors que le Royaume-Uni avait été l’un des artisans de la résolution du Conseil de sécurité condamnant la colonisation, Mme May a critiqué le secrétaire d’Etat John Kerry lorsqu’il avait qualifié le gouvernement Nétanyahou de « coalition la plus à droite de l’histoire israélienne ». Londres a enfin snobé Paris en refusant de signer la déclaration finale de la conférence sur le Proche-Orient organisée par la France le week-end dernier.

A propos de la promesse de M. Trump d’un accord de libre-échange signé rapidement, on peut être sceptique, les négociations sur un accord similaire entre le Canada et l’Union européenne ont duré sept ans, et on voit mal le secteur financier américain s’ouvrir facilement à la City de Londres. 

Pierre C. : Où en sont l’Irlande du Nord et l’Ecosse, votant pro-EU il me semble ? Indépendance prévue ?

Il est exact que l’Irlande du Nord et l’Ecosse ont voté contre le Brexit et veulent avoir leur mot à dire dans les négociations. Mais Theresa May a taclé Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise, qui réclame un arrangement particulier pour sa province. Mme May a promis de ne dresser aucune barrière à l’intérieur du Royaume-Uni.

Quant à l’Irlande du Nord, elle est en pleine crise politique avec la démission du gouvernement et les élections annoncées le 2 mars. Le Brexit va probablement être au centre de ce scrutin, le divorce avec l’UE fait peser la double menace d’une remise en cause des accords de paix de 1998 et d’une reconstitution de la frontière entre les deux Irlandes, qui deviendrait une frontière extérieure de l’Union européenne.