Est-ce par l’opération du Saint-Esprit que M. Alexandre T. s’est retrouvé avec une « plaie ouverte profonde de 1,5 centimètre » au niveau de l’anus ? C’est la question que s’est posée son avocate et c’est celle qui a semblé occuper les débats pendant trois heures, lundi 16 janvier, au tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Un policier municipal de Drancy, Arnaud P., comparaissait à l’audience pour violences volontaires avec arme. Mais il s’est évertué à dire qu’il « n’y avait pas eu d’incident ». Ce 29 octobre 2015, pourtant, du sang a été retrouvé dans la Peugeot 307 de l’équipage de police, ainsi que sur le caleçon d’Alexandre T.. Vers 4 heures du matin, un médecin a constaté la blessure du jeune homme de 28 ans et lui a délivré dix jours d’interruption totale de travail. Son ADN a même été retrouvé à l’extrémité du bâton télescopique de défense utilisé par le policier.

Pourtant, l’agent « ne [se] l’explique pas ». A la barre, il dit des « peut-être » et des « je ne sais pas » quand le procureur adjoint, puis la présidente du tribunal, puis l’avocate de la victime essayent de reconstituer le cours de la soirée.

« Je suis pas un animal »

Un équipage avait été appelé vers 21 h 30 pour constater un tapage nocturne. Alexandre T. était sur place. Il avait bu avec ses amis et aurait outragé les fonctionnaires municipaux. Amené au commissariat de Drancy, il doit alors être transféré à Bobigny pour être placé en garde à vue. Le jeune homme explique qu’afin de le transporter, Arnaud P. et ses deux collègues ont voulu l’allonger à l’arrière d’une voiture dont le dossier avait été rebattu aux deux tiers. Lui se débat. D’après un des policiers auditionnés, il aurait insulté les agents. « J’ai vu les sièges repliés, je n’ai pas compris, j’ai dit je rentre pas, je suis pas un animal. Ça a chahuté », reconnaît Alexandre T.

Tandis qu’il est menotté dans le dos et que, délesté de sa ceinture, son pantalon glisse sur ses hanches, deux policiers le tirent par les épaules pour le faire entrer dans la voiture. Arnaud P., lui, le pousse vers l’intérieur. « D’un coup, j’ai senti un truc dans mes fesses. J’ai hurlé, relate Alexandre T. lors de son audition, lue à l’audience par la présidente. Je me suis allongé sur la banquette et j’ai pleuré. Il y en a un qui m’a dit plus jamais tu parleras comme ça de la police municipale, tu te rappelleras de nous”. »

La présidente interroge le prévenu : « A votre avis, est-ce que monsieur a eu mal ? » Silence. Elle insiste. Le policier finit par concéder : « Je pense que oui. » Mais il jure qu’il ne l’a pas entendu crier, ni vu pleurer et encore moins saigner. C’est ce que plaide son avocat, MFlorent Hauchecorne. Son client aurait usé de sa matraque « à l’horizontale » pour parer les coups de pieds d’Alexandre T. « Nous sommes devant un mystère », finit par ironiser la présidente.

« Erreurs d’appréciation »

L’avocate de la victime, Marie-Cécile Nathan, n’achète pas cette version : « Ça ne se traverse pas comme ça, un anus. » Le procureur adjoint, Loïc Pageot, abonde : « C’est un scénario de violence policière. » Il dénonce les « erreurs d’appréciation » des agents municipaux, qui ont essayé d’allonger Alexandre T. dans un « véhicule non adapté », qui ont persisté à vouloir le mettre dans une « position extrêmement dangereuse » et qui ont « coûte que coûte » souhaité rentrer ses jambes dans l’habitacle. « Après, il y a deux hypothèses, soit le bâton ripe, soit Monsieur P. choisit de faire mal, de donner un coup violent dont la pression est suffisamment forte pour entraîner une perforation d’un centimètre et demi. »

Le procureur adjoint penche pour la deuxième hypothèse, sans allant. Il requiert six mois de prison avec sursis et une interdiction professionnelle d’un an.

Le délibéré sera rendu le 20 février, mais la justice n’est d’ores et déjà pas assez sévère, selon Alexandre T. et son père. « Les policiers ont tous les droits », marmonne le paternel, en regagnant la sortie du tribunal. Avant le début de l’audience, le fils faisait la comparaison : il y a dix ans, pour insulte à agent, il avait été condamné à huit mois avec sursis. Après son agression, Alexandre T. a perdu son travail de couvreur. « Je saignais, justifie-t-il. Ça saigne encore parfois. » Il a du mal à dormir. Alors il prend des gouttes. Il lui arrive de faire des cauchemars. Il rêve de guet-apens.