Les interdictions de manifester pourraient bientôt être examinées par le Conseil constitutionnel. Mardi 17 janvier, le tribunal administratif de Rennes a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil d’Etat, préalable à l’éventuelle saisine du garant de la constitution. Cette QPC porte sur l’article 5-3 de la loi sur l’état d’urgence, qui donne pouvoir au préfet « d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ».

La constitutionnalité de cette disposition, qui n’existe pas en droit commun, a été contestée par quatre personnes qui en ont fait l’objet, en septembre 2016, en Ille-et-Vilaine. Les requérants avaient été interdits de séjour à Rennes « les jours de manifestations contre la loi dite El Khomri, contre les violences policières et contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes ». Leurs avocats, Aïnoha Pascual et Raphaël Kempf, y voient une atteinte aux libertés garanties par la Constitution, notamment celles d’aller et venir et de manifester.

« Détournement de la loi »

« C’est à la loi qu’il revient d’énoncer précisément les critères qui permettent de limiter la liberté d’une personne, estime Me Kempf. Or, avec cette disposition, c’est le préfet qui a le pouvoir de définir ce que signifie “chercher à entraver l’action des pouvoirs publics”. C’est une notion totalement floue et cela lui confère des pouvoirs arbitraires. On voit d’ailleurs un détournement de la loi dans l’usage qui en a été fait, notamment à ­Paris et à Rennes, où des gens ont été interdits de manifester. » Le ministère de l’intérieur disait alors viser des individus violents, sans toujours en apporter la preuve, ce qui explique que plusieurs arrêtés aient été retoqués par le juge ­administratif.

D’après le rapport parlementaire du 6 décembre sur le contrôle de l’état d’urgence, 540 interdictions de séjour ont été prononcées depuis le 14 novembre 2015, avec « un usage massif » à partir de juin 2016, période de mobilisation contre la loi travail. Souvent « sans lien direct avec la menace terroriste », le ministère de l’intérieur a justifié ces mesures « par la mobilisation prioritaire des forces de l’ordre » du fait de l’état d’urgence, rappelle le rapport. Les premières utilisations ont concerné vingt et un « militants anarcho-autonomes français durant la COP21 », mais des supporteurs de football ont également été concernés lors d’un match en Corse, de même que des militants mobilisés au moment du démantèlement de la « jungle » de Calais.

L’interdiction de séjour renvoie à l’« un des seuls articles de la loi sur l’état d’urgence qui n’a pas été modifié depuis 1955, souligne Me Kempf, qui souhaite son abrogation. Il est encore dans son jus de la guerre d’Algérie ». A l’époque, l’article de loi avait suscité de vifs débats lors du vote de l’état d’urgence à l’Assemblée nationale.