Documentaire sur Arte à 22 h 40

Louis Althusser (1918-1990)

S’il y avait une seule raison de regarder ce documentaire sur le philosophe Louis Althusser (1918-1990), ce serait cet entretien à la RAI, en 1980, qui ouvre le film. Althusser accepte pour la première fois d’être filmé. Il parle en italien, explique son engagement communiste par le fait qu’il était d’abord catholique. « Puis, dit-il, il y avait plus de moyens adéquats dans le Parti communiste pour la fraternité universelle. » Il souligne aussi l’influence de sa femme, Hélène. Il a 61 ans, son visage est marqué. Quelques mois plus tard, le 16 novembre 1980, il étrangle Hélène, dans ce qui a été considéré comme un accès de démence, lui évitant un procès.

Ensuite, le film, tout en reprenant quelques autres extraits de la RAI et des propos d’Althusser, dont on entend seulement la voix, est essentiellement construit sur les témoignages de ses plus proches élèves à l’Ecole normale supérieure, qui ont participé avec lui à « un travail de rénovation du marxisme » visant à en « conserver sa capacité révolutionnaire » : Yves Duroux, Etienne Balibar, Jacques Rancière, Pierre Macherey. Ils parlent de la manière dont Althusser les a encouragés, dans « un geste de délégation et de confiance », de leur enthousiasme, de leur « prétention à être les premiers à lire Le Capital, de Marx » – ce qui a donné le livre collectif de 1965, Lire Le Capital.

Le philosophe français Louis Althusser et sa femme Hélène Rytmann | © Point du Jour

Lucien Sève, longtemps membre du comité central du PCF, parle du « retentissement considérable » de ce livre et de l’attachement d’Althusser au Parti, en dépit de ses critiques. Ce que confirme Etienne Balibar : « Althusser est dans le Parti communiste, et dit que la ligne du Parti est juste, mais la théorie insuffisante. » Toutefois, en 1978, il publie à la « une » du Monde un article très violent contre les dirigeants du PCF d’alors.

Bien sûr, le film, qui veut suivre tous les combats politiques et idéologiques d’Althusser dans les années 1960 et 1970, ne peut pas ignorer ses combats personnels, les séjours dans les hôpitaux psychiatriques, les cures de sommeil, dont il parle dans ses Lettres à Franca, sa traductrice italienne dont il est tombé amoureux.

Puis arrive ce tragique 16 novembre 1980. « Je n’ai jamais accepté la chose comme un accident de parcours, dit Etienne Balibar, qui a continué de voir Althusser. J’appréhendais d’aller le voir. Avec lui, ce n’est pas que j’étais sous le charme. Il était toujours lui-même. La même qualité de parole, de conversation, d’écoute. »

Silences et impasses

Il est dommage qu’on s’en tienne là, et à quelques précisions sur l’article 64 du code pénal – le prévenu est en état de démence au moment des faits. Le film se termine sur une manifestation à Athènes en 2015, censée montrer que la pensée d’Althusser revient à la faveur des combats anticapitalistes.

On peut aussi déplorer, en dépit de l’intérêt de ce documentaire, qu’on fasse totalement silence sur beaucoup d’amis d’Althusser, parmi lesquels Jean Guitton et Maria-Antonietta Macciocchi, qu’on donne si peu de place à la parole de Yann Moulier-Boutang, auteur d’une remarquable biographie d’Althusser en 1992, et qu’on fasse l’impasse sur L’avenir dure longtemps, le livre bouleversant d’Althusser paru en même temps, ainsi que sur les Lettres à Hélène (2011) et le dernier volume des œuvres posthumes, en 2015, consacré à ses rêves.

L’Aventure Althusser, de Bruno Oliviero (Fr., 2016, 60 min).