L’enquête du Cevipof, réalisée pour Le Monde, et publiée jeudi 19 janvier confirme les tendances observées sur le terrain : consolidation du FN, écroulement du PS, flottement de Fillon et ancrage de Macron. Gérard Courtois, éditorialiste au Monde, a répondu aux interrogations des internautes sur les enseignements à tirer de cette étude.

Domi : « Ecroulement du PS ». Vous pensez nous encourager à aller voter ce dimanche ? Où voulez-vous en venir vous qui ne vouliez communiquer aucun sondage ? A quel jeu jouez-vous ?

Pour ce qui est de la primaire socialiste, nous n’avons pas réalisé d’intentions de vote pour des raisons très simples : l’enquête du Cevipof a été menée du 10 au 15 janvier, elle prend donc en compte le premier débat entre les candidats de la primaire mais ne prend pas en compte celui de dimanche dernier et celui de ce soir. Il nous paraissait donc peu sérieux de réaliser des intentions de vote dans ces conditions. On a bien vu lors de la primaire de la droite l’importance décisive de ces débats à la télévision. Compte tenu du calendrier très ramassé de la primaire socialiste, il était difficile d’obtenir une photographie suffisamment fiable.

Il reste que, quand on interroge les Français sur leurs intentions de vote au premier tour de la présidentielle, les trois candidats socialistes que nous avons testés obtiennent des scores très faibles : 9 % à 10 % pour Manuel Valls, 7 % pour Benoît Hamon et Arnaud Montebourg. Ce que l’on observe par ailleurs sur le terrain, c’est-à-dire la faible mobilisation des électeurs de gauche pour la primaire, est donc confirmé par cette enquête : dans la situation actuelle, le candidat socialiste quel qu’il soit ne serait pas qualifié pour le second tour de la présidentielle. Il est en effet concurrencé des deux côtés, à gauche par Jean-Luc Mélenchon et au centre par Emmanuel Macron.

Hugo : « La seule incertitude » concerne la présence de Poutou dites-vous ? Jadot et Arthaud sont donc assurés de réunir les 500 parrainages ? Je n’ose vous demander pour Cheminade.

Pour ce qui est de Nathalie Arthaud, chaque candidate de Lutte ouvrière a toujours obtenu ses parrainages depuis 1974 (Arlette Laguiller de 1974 à 2007 et Nathalie Arthaud, en 2012). LO est très organisé depuis longtemps et devrait donc permettre à Arthaud d’être présente. De même pour les écologistes depuis 1974 également (René Dumont) ; ils représentent un vrai courant politique quelles que soient leurs guerres internes. Quant à Cheminade, il s’est déjà qualifié à deux reprises en 1995 et en 2012.

Nordman : Comment expliquez-vous la différence flagrante de traitement médiatique entre Macron (à la Une de tous les hebdomadaires une semaine sur deux) et Mélenchon, alors que les scores qui leur sont attribués par les sondages ne sont pas si éloignés ?

Emmanuel Macron bénéficie à l’évidence d’un engouement des médias mais pas seulement comme le démontre l’enquête du Cevipof. De tous les candidats, il est celui qui a progressé le plus depuis deux mois. Il s’est clairement installé en position de troisième homme. C’est évident depuis qu’il a déclaré sa candidature fin novembre et que François Hollande a annoncé qu’il renonçait à se représenter le 1er décembre. Il est certain que le « phénomène Macron » puisse s’avérer une bulle médiatique. On en aura assez rapidement le cœur net, dès que sera connu le vainqueur de la primaire socialiste.

Mais, au-delà de l’engouement médiatique, Macron exerce actuellement une véritable attractivité : l’affluence à ses meetings est remarquable et très supérieure à celle des candidats socialistes et il engrange, jour après jour, de nouveaux soutiens et ralliements. Qu’on le veuille ou non, il incarne le renouvellement par contraste avec la plupart des autres candidats. En outre, il est porté jusqu’à présent par une aspiration forte dans l’électorat de dépasser le traditionnel clivage droite/gauche. Lors des derniers scrutins présidentiels, c’était François Bayrou qui occupait ce « créneau ». Macron lui a piqué son fonds de commerce en quelques mois. Rappelons-nous qu’en 2007, Bayrou avait au mois de mars fait quasiment jeu égal avec Sarkozy et Royal avant que le phénomène ne s’émousse en avril.

Desman : Pourquoi répondez-vous à côté de la question ?

Je ne peux répondre que pour Le Monde et pas pour les magazines qui effectivement consacrent leurs Unes à Macron beaucoup plus souvent qu’à leur tour. Pour ce qui est du Monde, nous avons donné la parole à Mélenchon comme à Macron et aux autres candidats au cours des dernières semaines et il ne me semble pas que nous ayons un traitement déséquilibré au détriment de Mélenchon. En tout cas, nous sommes très attentifs à l’équité de notre couverture. On peut d’ailleurs ajouter que l’interview récente (début janvier) de Mélenchon était excellente : c’est la première fois qu’il utilisait à son avantage l’argument du vote utile. En outre, il me semble que Le Monde a été le premier journal à pointer la percée remarquable de Mélenchon sur YouTube.

Louis B. : Dans l’hypothèse où François Fillon ne modérerait pas son discours et son programme, est-ce qu’une victoire d’Emmanuel Macron vous semble envisageable ?

Le problème de Fillon n’est pas seulement celui de son programme. Depuis sa victoire à la primaire, il a du mal à gérer le traditionnel faux plat qui sépare la primaire de la campagne présidentielle elle-même. On l’a vu depuis six semaines, y compris dans son camp. Il a suscité davantage de doutes, voire d’inquiétudes, que de mobilisation. Il semble avoir du mal à dépasser les crispations et les clivages au sein des Républicains, notamment du côté des Sarkozystes. Il faudra observer attentivement son attitude dans les deux ou trois prochaines semaines pour voir s’il parvient à enclencher une véritable dynamique autour de sa candidature. On constate actuellement qu’il est devancé par Marine Le Pen dans tous les cas de figure alors que c’était l’inverse en décembre. Ce n’est pas encore inquiétant pour lui, mais il serait dangereux qu’il laisse s’installer durablement cette impression de flottement.

Une campagne réussie suppose une dynamique conquérante. S’il ne parvenait pas à la créer, cela pourrait effectivement rendre encore plus aléatoire le rapport de force avec Le Pen d’un côté et Macron de l’autre. Mais on n’en est pas encore là et Fillon reste en position de force pour être qualifié au second tour.

Ours : Quelles chances à l’heure actuelle de ne pas avoir Marine Le Pen au second tour ?

Les « chances » sont effectivement maigres. La candidate du Front national est créditée de 25 % à 26 % des intentions de vote et ce depuis plusieurs mois. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise puisque le FN a obtenu 25 % des voix aux européennes de 2014 et près de 28 % aux régionales de 2015. Le potentiel électoral de Marine Le Pen résulte du travail d’implantation, d’organisation et de modernisation qu’elle a entrepris depuis son élection à la présidence du FN il y a six ans. Nous publions aujourd’hui un article de Pascal Perrineau qui analyse très précisément les points forts de la candidate frontiste.

D’une part une fidélisation très grande de ses électeurs puisque 82 % de ceux qui avaient voté pour elle en 2012 ont l’intention de revoter pour elle cette année. Par comparaison, Mélenchon ne fidélise que 66 % de ses électeurs de 2012 et Fillon 62 % des électeurs de Sarkozy en 2012.

D’autre part, l’électorat de Le Pen est très fortement structuré autour de la France d’en bas (elle est très nettement en tête dans les catégories populaires, ouvriers et employés) et de la France défiante à l’égard des gouvernants et des responsables politiques. Il faudrait vraiment des accidents de campagne spectaculaires pour qu’elle ne parvienne pas à se qualifier au second tour.

Fraise des bois : Qui sera président en 2017 ?

C’est la question super banco ! A ce stade, il ne faut jamais oublier que c’est la campagne électorale qui fait l’élection. Or, cette campagne n’a pas encore réellement commencé. Tous les candidats déjà déclarés attendent de connaître celui des socialistes, qui sera connu le 29 janvier au terme de la primaire. Dans une dizaine de jours, on connaîtra donc l’offre politique quasi définitive de l’élection. La seule incertitude restera la présence ou non de Philippe Poutou, le candidat du NPA, qui n’est pas assuré d’avoir ses 500 parrainages.

La campagne va donc réellement commencer en février et il est probable que la cristallisation du choix des électeurs ne se fasse pas avant le mois de mars. L’enquête électorale du Cevipof que nous publions aujourd’hui montre d’ailleurs que, sur un échantillon de 16 000 personnes, 31 % ne sont pas encore certains d’aller voter au mois d’avril et mai.

Un sondage n’est pas un exercice de divination. Celui que nous publions permet de dresser le paysage avant la bataille : les rapports de force à ce stade sont clairs, mais le résultat est plus imprévisible qu’il n’a jamais été depuis 1965.