Le président Barack Obama après sa dernière conférence de presse à la Maison Blanche. | NICHOLAS KAMM / AFP

Quarante-quatrième président des Etats-Unis d’Amérique, le démocrate Barack Obama cède sa place à la Maison Blanche au républicain Donald Trump vendredi 20 janvier. Quelles actions politiques, quels moments forts retenir des deux mandats du premier président noir américain ? Nicole Bacharan, historienne et politologue franco-américaine, coauteure avec Dominique Simonnet des Secrets de la Maison Blanche aux éditions Pocket, dresse le bilan de ces huit années.

Au terme de ses deux mandats, après le grand espoir suscité par son élection en 2008, quelle trace Barack Obama laissera-t-il dans l’histoire ?

Nicole Bacharan : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Il y a aujourd’hui trois regards possibles sur la présidence d’Obama. On peut tenter de faire le bilan de ce qu’il a réussi, raté et de ce qui est resté inachevé. On peut également l’analyser par contraste avec celui qui lui succède, et là le désespoir de le voir partir et laisser la place à Donald Trump risque de rendre l’exercice peu objectif.

Enfin on peut s’interroger sur la place qu’il laissera dans l’histoire, ce qu’on ne saura pas rapidement. Mais je pense qu’il sera probablement reconnu comme un grand président. Déjà, bien sûr, parce que c’est le premier président noir des Etats-Unis, et puis c’est un grand orateur, qui a agi pour construire une Amérique meilleure.

Après huit ans de pouvoir, le bilan du président Obama est contrasté. Quels sont les points forts de sa présidence ?

Sur le plan intérieur, on peut considérer qu’il a plutôt réussi. Sur le plan extérieur, il a globalement échoué.

Sa réussite majeure est d’être parvenu à tirer le pays d’une crise économique sans égale depuis 1929. Ce n’est pas forcément « sexy », mais Barack Obama a évité le naufrage du système financier. Il a également organisé le sauvetage de l’industrie automobile.

Sous sa présidence, le chômage a connu une baisse spectaculaire. Il s’élevait à 9 % en 2009, 10 % en 2011 et tombe aujourd’hui à 4,7 %, ce qui correspond au plein emploi sur le plan statistique. Mais à côté de cela, beaucoup de gens sont sortis de l’emploi et des aides sociales et n’apparaissent même plus dans les chiffres. De nombreux emplois à temps partiel existent, et certaines régions industrielles sont absolument sinistrées. Leurs habitants se sentent délaissés et ont majoritairement voté pour Donald Trump. On ne peut pas parler de réussite totale.

Parmi les engagements forts pris lors de ses campagnes, on retiendra notamment l’échec sur la fermeture de Guantanamo. Qu’a-t-il réalisé par rapport à une autre de ses promesses emblématiques : réformer Wall Street ?

Il a permis la remise à flot du système financier lors de son premier mandat. Et avec la loi Dodd-Frank adoptée en 2010, un certain nombre de mesures ont été prises pour mettre de l’ordre dans la finance. Ce texte a, par exemple, séparé les activités des banques d’investissement et des banques commerciales. Après le drame vécu par des millions d’Américains avec les subprimes, qui se sont trouvés complètement démunis, des mesures figurent désormais dans la loi pour protéger les clients des banques. Leurs voies de recours ont été consolidées. Il a donc réussi en partie sur ce point.

La réforme du système de santé (Obamacare) adoptée en 2010 reste la principale avancée sociale de sa présidence, mais elle est très contestée par les républicains qui ont annoncé son démantèlement. N’est-ce pas là le signe d’un échec politique et d’une réforme mal ficelée ?

Barack Obama a sacrifié un grand capital politique à cette réforme, et pourtant ce n’était pas le sujet majeur pour les Américains. La réforme finale n’est d’ailleurs pas celle qu’il avait souhaitée, elle est le fruit de longues négociations. Mais il n’empêche que c’est une grande réussite sociale de l’ère Obama, même si son succès est variable selon les Etats.

Elle pourrait encore être ajustée, elle a des failles. Mais elle risque désormais d’être détruite, encore que ce ne soit pas si simple. Depuis 2009, avant même son adoption, les républicains répètent qu’ils vont l’abolir. C’est un propos très politique, un facteur d’identité pour eux, une justification de leurs critiques. Mais cette perspective crée une panique générale. Les Américains sont très inquiets ; 22 millions de personnes nouvellement assurées ne savent pas ce qui va se passer. L’inquiétude est partagée par les assureurs, les hôpitaux… Même dans le camp républicain, les modalités de sa suppression divisent. Trump ne perçoit à l’évidence pas la complexité de la chose. Il s’agit de cinquante Etats, avec cinquante systèmes différents, c’est extrêmement complexe à changer.

En matière de politique étrangère, la présidence de Barack Obama se caractérise par une certaine passivité sur le conflit syrien et un intérêt limité pour le Moyen-Orient. Quels sont les dossiers sur lesquels son administration s’est distinguée ?

On le saura avec le temps, mais l’accord sur le nucléaire iranien, s’il est respecté, pourrait permettre davantage de modération et un apaisement dans cette partie du monde. A son crédit figurent aussi la reprise des relations diplomatiques et commerciales avec Cuba et la ratification de l’accord de Paris sur le climat, avec les Chinois. L’élimination d’Oussama Ben Laden est une victoire, d’une nature particulière, certes. Sinon, les succès sont rares.

L’Afghanistan est un échec, Obama a renoncé à l’idée de partir du pays en laissant un Etat stable. Les relations avec la Russie sont exécrables, la fameuse histoire du recul sur la « ligne rouge » en Syrie a beaucoup nui aux Etats-Unis et au reste du monde. Concernant le conflit israélo-palestinien, c’est un échec complet. Obama a porté une sorte de désengagement, cette idée que les Etats-Unis ne peuvent être les gendarmes du monde, compte tenu de toutes les puissances émergentes. C’est assez réaliste, mais on n’a plus senti de direction, de vision. Obama s’est battu pendant huit ans pour parvenir à fermer Guantanamo, mais le Congrès a refusé de signer les crédits pour rapatrier les prisonniers. Très peu de pays ont accepté de recevoir des détenus.

Les inégalités ont fortement augmenté pendant les huit années de sa présidence, le sentiment d’injustice s’est accru chez les minorités, notamment chez les Noirs, après plusieurs bavures policières ayant tourné à l’émeute. Barack Obama ne laisse-t-il pas en 2017 un pays plus divisé qu’en 2008 ?

L’Amérique est incontestablement plus divisée aujourd’hui. Barack Obama a créé la déception chez les Noirs américains, parce qu’il a mis beaucoup de temps à se saisir de la question raciale. N’empêche qu’actuellement je vous assure qu’on pleure chez les Afro- Américains !

Une partie de l’Amérique n’a pas supporté d’avoir un président noir, et Donald Trump a attisé toutes ces rancœurs, les a encouragées et justifiées. On n’a jamais connu une élection pareille. Et aujourd’hui, beaucoup d’Américains ont peur de ce qu’il va se passer. Qu’arrivera-t-il s’il y a de nouvelles bavures, des émeutes raciales ?

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle peut-elle être interprétée comme un désaveu de la présidence Obama et un rejet de certains dossiers emblématiques type Obamacare ?

Sans aucun doute, oui. Une partie des Américains n’ont pas bénéficié de l’Obamacare, et se sont sentis floués. Certains n’ont pas supporté aussi d’entendre partout que l’économie allait mieux alors qu’eux-mêmes tombaient dans la misère. Et le discours de Trump a alimenté ce sentiment, en désignant des boucs émissaires tels que les immigrés.

Quelle part de son héritage va être immédiatement démantelée par son successeur à la Maison Blanche ?

C’est une énigme. Trump a annoncé la suppression de l’Obamacare, la sortie de l’OTAN… je suppose qu’il va le faire. C’est l’inconnu. Même le vice-président Joe Biden a confié en début de semaine dans un entretien au New York Times qu’il n’en savait rien. Une chose est sûre : Trump va rester Trump. Il a 70 ans, c’est un homme fait, qui ne va pas changer. Il arrive à la Maison Blanche sans avoir esquissé le moindre geste d’apaisement depuis l’annonce de sa victoire il y a deux mois. C’est inédit. Il bénéficie d’un taux d’approbation très en deçà de ceux que connaissent habituellement les nouveaux présidents (40 à 44 % contre 84 % pour Obama en 2009).