Si l’on excepte la journée internationale du 8 mars, ce sera la première fois, samedi 21 janvier, que des femmes manifesteront le même jour dans le monde entier. La Women’s March est organisée pour « dire clairement au nouveau gouvernement [américain] et au monde que les droits des femmes sont des droits humains ». Elle se tiendra à Washington d’abord, où 200 000 femmes sont attendues, mais également dans plus de 400 villes des Etats-Unis et dans 66 autres pays, dont le Canada (où des manifestations sont prévues dans 27 villes), le Mexique (17 villes), la Grande-Bretagne (14 villes), ou encore la France (9 villes).

Wendy Brown, professeure de philosophie politique à l’université de Berkeley et spécialiste du néolibéralisme et de l’histoire du mouvement féministe aux Etats-Unis, revient sur l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.

La victoire de Donald Trump n’est-elle pas une gifle pour le mouvement féministe ?

Pas du tout. Le vote pour Donald Trump a été beaucoup plus un vote pour la blancheur [« whiteness »] que pour la masculinité [« maleness »]. Prenez les résultats : la majorité des électeurs de Trump sont des Blancs. Mais chez les femmes, seul un très faible pourcentage de femmes noires ou Latinas ont voté pour lui. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler une défaite pour le féminisme.

Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas eu une énorme quantité de sexisme dans la campagne. J’ai voté pour Hillary Clinton ; j’aurais vraiment voulu qu’elle soit élue. Mais elle ne représente pas l’ensemble du mouvement féministe. Elle représente une forme de féminisme centriste, mainstream [courant dominant]. Elle a été vue comme faisant partie de l’establishment, comme une néolibérale. Le facteur sexiste n’a pas été décisif pour la plupart des électeurs. D’ailleurs, beaucoup de ceux qui ont voté pour Donald Trump désapprouvaient complètement ses propos misogynes. Mais ils ont considéré qu’il serait un meilleur président : pour les Blancs, pour le monde des affaires et contre les sans-papiers. C’était ça le plus important pour eux.

Quel est l’état du mouvement féministe post-Trump ? Quelles sont les principales revendications ?

Le mouvement féministe est très solide. On va le voir samedi à la manifestation de Washington. En fait, le mouvement féministe aux Etats-Unis est plus fort qu’il n’a jamais été depuis des décennies. Il est très diversifié. Il y a un courant féministe parmi les Noires, parmi les lesbiennes, parmi les sans-papiers. Le mouvement est aussi très présent sur les campus, où les abus sexuels provoquent une vive inquiétude.

Nous avons connu plusieurs « vagues » – ou épisodes – depuis la première, celle des débuts, au XIXsiècle [les suffragettes qui se battaient pour le droit de vote]. La deuxième vague a été celle du féminisme radical des années 1970. La troisième vague a reconsidéré l’idée même de femme : nous ne sommes pas simplement liées à des corps biologiques, mais à des identités de genre.

« La grande inquiétude actuelle concerne le droit à l’avortement »

Depuis cinq ans, nous sommes entrés dans la quatrième vague. Il n’est pas question du vote ou de l’égalité des droits : ceux-ci ont été établis. Les questions importantes concernent les droits liés à la reproduction [reproductive rights], l’accès à l’économie, à l’éducation, l’égalité de traitement au travail, les abus sexuels. Ce sont des questions qui traversent les couches de la société et qui sont importantes à des degrés divers, selon la classe sociale et la race. Quand la Women’s March de Washington a été lancée, c’était une initiative de femmes de la classe moyenne blanche. Aussitôt, d’autres groupes se sont manifestés pour demander à être inclus.

La grande inquiétude actuelle, c’est le droit à l’avortement. Les femmes craignent que les alliés de Donald Trump ne veuillent le supprimer et que les Etats reviennent sur la légalisation. Je pense que M. Trump s’en fiche complètement, mais il voudra faire plaisir à sa base. L’autre sujet d’inquiétude, c’est le salaire minimum : qu’il soit plafonné voire éliminé. Et l’assurance-santé. Toutes ces questions galvanisent le militantisme des femmes.

Certaines féministes regrettent qu’il soit plus difficile de dénoncer le sexisme que le racisme…

Traiter les individus différemment, en fonction de leur genre, est toujours considéré comme acceptable. Alors même que nous parlons d’égalité, nous continuons à croire qu’il y a des différences. On discute de la question de savoir si une femme a la capacité ou la force physique pour être présidente, de ce qu’elle porte. Le profilage racial est considéré comme inacceptable – même s’il est pratiqué. Le profilage de genre continue, lui, à être toléré.