Longtemps, l’aérogare de Roissy-Charles-de-Gaulle s’est résumé à des rayonnages en duty-free sans âme et des vitrines d’un luxe standardisé. Et puis, il y a quatre ans, le premier aéroport européen a inauguré dans le hall M du terminal 2E son Espace musées, dans lequel les passagers en transit ont déjà pu contempler des expositions temporaires de Rodin et de Dubuffet et pourront, jusqu’au 15 juin, admirer celle consacrée à Picasso : trente-trois œuvres – dont Nu couché et Homme jouant de la guitare. Dans le Roissy nouvelle génération, on ne tue plus le temps en avalant des sandwichs industriels dans des hangars blafards, on flâne dans des lieux de culture.

L’aéroport Changi, à Singapour, offre plusieurs havres de détente dont le bassin des carpes. | Changi Airport Group

Et on mange bien : forte du succès de I love Paris, la table imaginée par le chef étoilé
Guy Martin et l’architecte India Mahdavi, la direction de l’aéroport s’est engagée à ouvrir d’ici 2020 un restaurant gastronomique dans chacun des onze terminaux. Benjamin Perret, à la tête de la communication du groupe Aéroports de Paris, en est persuadé : « L’aérogare est devenue un lieu de vie à part entière. Voire, un critère de sélection pris en compte par les passagers lorsqu’ils réservent un vol avec escale. »

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’augmentation des mesures de sécurité précédant l’embarquement oblige les passagers à arriver toujours plus tôt. Une aubaine pour les entreprises privées, propriétaires des aéroports, qui voient dans le flux croissant de voyageurs (le trafic va plus que doubler ces vingt prochaines années, pour atteindre 7,3 milliards en 2034, selon l’Association internationale du transport aérien) une opportunité en or pour gonfler le chiffre d’affaires de leurs commerces.

L’architecture de l’aéroport de Bakou, en Azerbaïdjan, s’inspire des traditions du pays. | Karem Sanliman

Pour attirer les passagers, les « hubs » continentaux misent sur les spécificités culturelles de leurs territoires. À Bakou, en Azerbaïdjan, le duo d’architectes turcs Autoban a ainsi parsemé l’aérogare d’immenses cocons en bois courbé inspirés des constructions locales. À Bruxelles, des restaurants de spécialités belges entourent une fusée de Tintin haute de six mètres. En cours de rénovation, le spectaculaire aéroport de Changi, à Singapour, a vocation à devenir la vitrine internationale de l’île-état, qui se rêve en modèle d’écologie. Le « jardin des papillons » du terminal 3, une immense serre avec cascade et végétation luxuriante, est déjà considéré comme une attraction incontournable.

Le terminal 2E de Roissy-Charles de Gaulle dispose d’un Espace musée (ici l’exposition Rodin). | seignettelafontan.com/Aéroports de Paris

« Nous incitons les gouvernements locaux à davantage investir dans leurs aéroports, explique Li Guen Phua de l’agence de conseil en aéronautique singapourienne SimpliFlying. Ceux qui laissent une bonne impression aux voyageurs contribuent grandement à valoriser l’image du pays. » C’est le cas de l’Inde. À Bombay, les passagers sont conviés à visiter « le plus grand programme d’art du monde dans un espace public », vante Sanjay Reddy, vice-président de l’entreprise propriétaire de l’aéroport. Soit un total de trois kilomètres de galeries ! Un véritable musée, monté par une équipe d’experts qui a passé trois ans à sillonner le pays, du Kerala au Nagaland, à la recherche de fresques contemporaines en céramique, d’immenses outils en bois, et de pierres sculptées du XIVe siècle représentant des gardiens de Shiva.

Le restaurant gastronomique du terminal 2E de Roissy-Charles de Gaulle. | Alain Leduc/ Aéroports de Paris

Quant à l’architecture tout en béton, elle est soutenue par des piliers en forme de plumes de paon typiquement indiennes. « Cet aéroport est devenu un modèle que nous allons reproduire avec celui de la cité-jardin de Bangalore », se félicite Sanjay Reddy. Une promenade verte courra le long du terminal, inauguré l’année prochaine. « Au-delà de ces indéniables arguments culturels, notre but est d’inciter les voyageurs à passer plus de temps sur place et à y dépenser plus d’argent », admet Sanjay Reddy. Une mission semble-t-il accomplie, puisque le responsable de l’aéroport d’Abou Dhabi a récemment demandé à le rencontrer pour s’inspirer de la formule.