Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avec Tzipi Livni lorsqu’elle était ministre de la justice, à Jérusalem, le 2 décembre 2014. | GALI TIBBON / AFP

L’ancienne ministre israélienne des affaires étrangères Tzipi Livni a évité une interpellation par la police belge en annulant sa venue dans le pays. Elle devait participer lundi 23 janvier à une conférence consacrée aux investissements en Israël, dans les locaux du Parlement européen, sans en être l’invitée officielle.

Depuis son départ du ministère de la justice en décembre 2014, Mme Livni n’est plus couverte par une immunité diplomatique. La police devait profiter de l’occasion pour l’interroger, ce qui aurait suscité un scandale diplomatique.

En juin 2010, les avocats belges d’un collectif de familles de victimes de l’opération militaire « Plomb durci », menée par Israël dans la bande de Gaza entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, avaient déposé plainte à Bruxelles contre des responsables civils et militaires israéliens pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Près de 1 400 Palestiniens avaient été tués pendant l’opération.

« Abus cynique »

Informés de la visite de Mme Livni, les juristes ont demandé au procureur fédéral belge d’ordonner son interpellation. Le parquet fédéral était prêt à répondre favorablement à cette demande, ainsi que l’a confirmé au Monde le substitut Thierry Werts. « Nous comptions profiter de cette venue pour faire progresser le dossier », déclare-t-il. L’instruction est bloquée depuis l’origine en raison de sa sensibilité politique et de ses possibles répercussions.

L’entourage de la députée assure au Monde que Mme Livni a renoncé à sa venue à Bruxelles pour « des raisons personnelles », dès le 15 janvier. Elle n’aurait pas été informée au préalable des intentions de la police fédérale. Mais, selon une source belge, les enquêteurs auraient cherché à confirmer la venue de Mme Livni auprès des organisateurs, les alertant ainsi de leurs intentions.

L’ancienne ministre se trouvait jeudi à New York, et sera au forum de Davos dimanche 22 janvier. Dans un communiqué, Emmanuel Nahshon, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères, dénonce « l’abus cynique du système judiciaire au bénéfice d’un agenda politique » et formule le vœu que les autorités belges n’y prêtent pas assistance.

Les initiateurs des plaintes en Belgique se félicitent malgré tout de ce rendez-vous manqué. Selon eux, il marque un précédent dans le pays, pour tous les autres officiels de haut rang visés par leur démarche. La question de la compétence universelle de certaines juridictions européennes en matière de crimes de guerre perturbe depuis quinze ans les déplacements de hauts responsables israéliens. Jusqu’en Nouvelle Zélande, où Moshe Yaalon, qui deviendra par la suite ministre de la défense, a été visé par un mandat d’arrêt en 2006 pour l’assassinat d’un commandant du Hamas en 2002, lors duquel 22 civils avaient été tués.

Subterfuges

Mais c’est surtout en Grande-Bretagne que cette offensive judiciaire se poursuit. En 2009, Tzipi Livni avait annulé une visite à Londres après l’émission d’un mandat d’arrêt contre elle, dans le cadre d’une enquête liée à l’opération « Plomb durci ». En 2011, en 2014 puis en juillet 2016, l’ancienne ministre a reçu l’immunité diplomatique ponctuelle de la part des autorités locales pour pouvoir effectuer ce même déplacement, alors que la police britannique voulait l’interroger, a rapporté la presse de l’époque. En septembre 2005, le général Doron Almog avait atterri à Londres et s’était terré dans l’avion pendant deux heures, avant de redécoller vers Israël. Après avoir bénéficié d’une fuite, un attaché militaire de l’ambassade était monté à bord pour l’avertir de son arrestation imminente, dans le cadre d’un mandat d’arrêt émis contre lui, pour une frappe aérienne dans la bande de Gaza en 2002, lors de laquelle des civils avaient péri.

Me Daniel Machover représente, à Londres, les victimes qui se sont constituées parties civiles et ont déposé plainte. Interrogé par Le Monde sur les mandats d’arrêt successifs, l’avocat regrette les subterfuges utilisés par les hauts responsables mis en cause pour se soustraire à la loi. « Nos clients trouvent déroutant le fait que les suspects israéliens, si confiants d’avoir agi légalement, ont cherché à obtenir une immunité avec l’aide des gouvernements israéliens successifs, devant les juridictions britanniques et celles d’autres pays, ou bien à réclamer des changements dans la législation ou les procédures, lorsqu’ils n’ont pas annulé leurs déplacements. »