Les organisateurs avaient vu un peu grand. Les écrans géants installés à l’une des extrémités du National Mall, à Washington, ont diffusé la cérémonie d’investiture du 45e président des Etats-Unis, vendredi 20 janvier, devant une foule plutôt clairsemée. Mais, au plus près du Capitole, sur les pelouses détrempées par la pluie, l’Amérique de Donald Trump est là, serrée, fidèle, confiante et fière de décliner sur ses casquettes, ses chaussettes, ses T-shirts ou ses badges, son admiration pour le milliardaire.

Avec sa veste militaire assortie à son pantalon de treillis, Paul Jaeckel, 62 ans, ne dépare pas dans ce monde dominé par le bleu, le blanc et le rouge. Le visage mangé par une moustache blanchie, ce « conservateur » venu de Virginie se réjouit qu’en ce « jour fantastique, un adulte entre enfin à la Maison Blanche ».

« L’adulte » en question prête serment quelques minutes plus tard, sous le regard de sa femme, Melania, dont la tenue bleu ciel et l’élégance professionnelle ravissent les spectateurs. Sous une averse, le discours anti-système qu’il tient dans la foulée comble d’aise ses supporteurs. Les applaudissements éclatent à chaque fois que le président promet « de ramener les jobs » dans le pays, « d’embaucher et d’acheter américain », de « redonner sa grandeur au pays ». Mais l’enthousiasme mesuré semble loin de la ferveur des meetings de campagne. Comme si la réalité de l’élection avait déjà un peu douché les rêves de révolution, soulevés par le candidat.

« Son discours a été encore meilleur que durant la campagne », juge pourtant Angela Miele, employée d’une entreprise pharmaceutique dans le New Jersey. Sobrement vêtue d’un pull orné d’un portrait de Donald Trump, cette mère de trois enfants estime qu’« il a mis en avant l’unité de la nation et la priorité donnée au pays, sans faire un discours idéaliste mais en s’en tenant à sa plate-forme ». 

En quête de « changement »

Les contradictions, les difficultés à venir, sont balayées d’un haussement d’épaules par Chuck Dufford, septuagénaire toujours employé dans une entreprise d’automobiles, à Pittsburgh (Ohio). « C’est un businessman, il saura conclure des accords pour arriver à ses fins, que ce soit sur le commerce avec la Chine, qui prend nos emplois, ou sur l’Obamacare, quand il faudra discuter avec les compagnies d’assurance », estime-t-il encore. « S’en prendre aux politiciens de tous bords, comme il l’a fait, c’est cela que l’on avait besoin d’entendre. Il faut se débarrasser des responsables corrompus, qui s’en sont mis plein les poches », renchérit-il, comme en écho à M. Trump, qui, quelques minutes plus tôt, a promis de transférer « le pouvoir de Washington et de le rendre au peuple ».

Dans la foule, presque exclusivement blanche – à l’image du nouveau gouvernement, qui ne comporte qu’un Afro-américain et aucun hispanique –, les profils les plus extrémistes côtoient les républicains traditionnels en quête de « changement ». Venus spécialement de San Diego, en Californie, un groupe d’adolescents rétifs semble incarner la frange la plus radicale du « mouvement trumpiste ». Sans un sourire, Chris, 18 ans, la casquette « Make America Great Again » largement baissée sur les yeux, résume en trois mots le programme qu’il attend du président : « Populisme, nationalisme, constitutionnalisme. » Sa copine, Johanna, 16 ans, même casquette, ajoute qu’il faut « une vraie frontière avec le Mexique pour stopper les illégaux et les délinquants ».

Dans la foule des supporteurs au pied du Capitole à Washington le 20 janvier. | DARCY PADILLA / AGENCE VU POUR LE MONDE

Ricanements et doigts levés

A peine plus âgés, mais venus de Pennsylvanie, Kody Sitch et Eric Miller sont intarissables sur les dégâts de l’assurance-santé mise en place par Barack Obama. Les deux jeunes hommes attendent une abrogation rapide de « cette loi qui oblige le citoyen à acheter quelque chose même s’il n’en veut pas, sous peine de payer une amende ». Quelques heures plus tard, le président Trump accède à leur demande : sous les caméras, il signe un premier décret présidentiel permettant la déréglementation de certains aspects de l’Obamacare, dont les pénalités.

Mais parmi ceux qui ont fait le déplacement en famille ou entre amis, certains dépassent la caricature du « redneck », l’électeur rural et peu éduqué qui a permis la victoire de Trump. « Qu’on arrête de nous prendre pour des illettrés de la campagne. Avec Internet, on lit les mêmes journaux qu’à Washington ou New York, désormais », s’insurge Kathleen, conservatrice issue d’une famille libérale. Sur un coup de tête, cette infirmière de 65 ans et sa fille Jessica, employée dans l’agriculture, ont sauté dans un avion la veille pour venir du Minnesota :

« On est là pour dire aussi qu’on en avait assez qu’Obama nous parle comme à des gosses sur un ton condescendant, nous expliquant ce qui est bien pour nous. »

Même énervement pour Tim Ebersoli, retraité de l’armée, venu de Pennsylvanie. « Trump a gagné car les gens en avaient assez du système, pas parce l’Union soviétique les a influencés », lance-t-il en référence aux interférences dans la campagne, attribuées à la Russie.

Au fil de la journée, quelques heurts ont éclaté dans la ville entre trumpistes et contestataires, mais les rencontres fortuites entre les deux camps se sont généralement soldées par des ricanements et des doigts levés.

Face à face entre police et manifestants sur K Street à Washington le 20 janvier. | DARCY PADILLA / AGENCE VU POUR LE MONDE

« La casse va être énorme »

Dès l’aube, des dizaines de petits groupes, sortis en silence de nulle part, s’étaient engouffrés en plein cœur de Washington vers les points de contrôle donnant accès aux festivités. Une coalition hétéroclite de militants anti-Trump s’était rassemblée derrière un collectif baptisé « Disrupt J20 » (« Désorganiser le 20 janvier »).

Devant les grillages de la 10e rue, les premiers gaz lacrymogènes ont été lancés par les forces de l’ordre, lorsqu’un groupe du collectif « The future is feminist » a tenté de bloquer la rue pour empêcher les badauds d’entrer sur le Mall. Au total, quelque 200 personnes ont été interpellées, une limousine brûlée et quelques vitrines brisées.

Noel Schroeder, 30 ans, tenue noire et bandeau de la même couleur sur la tête, est une des fondatrices de ce groupe d’activistes, créé quelques jours après la victoire du candidat républicain.

« Nous avions une telle rage, qu’il fallait faire quelque chose, explique-t-elle. La victoire de ce type remet en question notre société toute entière. Qu’il s’agisse de la démocratie, du droit des femmes, des minorités… Nous voulons montrer que nous sommes là dès le premier jour d’entrée en fonction du président. »

Une même envie de prendre date a incité Nicolas Doulos, 27 ans, d’origine grecque, à faire le voyage depuis San Francisco. Il était venu en 2008 pour Obama. De son portefeuille, il sort un ticket de métro de Washington avec l’effigie de l’ancien président imprimé, à l’époque, pour l’occasion. « Je voulais être ici, simplement protester. C’est une satisfaction passagère, mais on a l’impression d’être un peu moins seul. »

Cedric et Monique, couple afro-américain venu du Maryland pour voir défiler leur fils Cedric II, qui joue dans la fanfare, ne sont pas là pour manifester contre Trump. Ils sont calmes, posés mais « inquiets pour l’avenir ». « Il va falloir repenser notre investissement politique. Je travaille dans la santé et suis effarée par les propositions de Trump, qui veut supprimer l’Obamacare. Les gens qui ont voté pour lui ne se rendent pas compte. La casse va être énorme », prédit Monique, qui n’a pu retenir une larme au moment de la prise de pouvoir par Trump. « Voir partir Obama est quelque chose que j’ai du mal à avaler », glisse-t-elle.

Dans son discours, Donald Trump a rendu hommage à son prédécesseur et, contre toute attente, a fait acclamer le couple Clinton lors du déjeuner offert au Congrès, après la prestation de serment. Puis offert une standing ovation à son ancienne adversaire, qu’il promettait, dans ses meetings, de jeter en prison.