Maïva Hamadouche (à gauche) lors du Championnat du monde féminin des poids plumes, le 10 novembre 2016. | Jean-Daniel PERES

« Vous venez pour la boxeuse ? » A Clichy, on ne risque pas de chercher le gymnase Nelson-Mandela très longtemps. La plupart des habitants de la ville des Hauts-de-Seine savent s’y rendre les yeux fermés. Cette salle, c’est le temple de Maïva Hamadouche, sa « maison ». Elle nous reçoit autour d’un café dans le petit bureau où sont exposés les trophées du club. Gabarit super-plume (1,63 mètre pour 59 kg) comme sa catégorie, l’athlète de 27 ans au regard bleu clair affiche un sourire franc. Celle que les Clichois ont pour habitude de croiser dans la rue en uniforme de policière ou de voir sur le ring dans sa tenue de boxeuse savoure son début de notoriété : « Des gens qui ne s’intéressent pas à la boxe me reconnaissent dans la rue ! »

Maïva Hamadouche remet en jeu son titre de championne du monde, samedi 21 janvier à Levallois-Perret, face à la Bulgare Milena Koleva. Sacrée en novembre 2016 sous l’égide de l’IBF (l’une des quatre fédérations internationales avec la WBA, le WBC et la WBO), elle n’est que la troisième Française à avoir décroché le Graal, après Myriam Lamare et Anne-Sophie Mathis.

« J’ai été éduquée à travers la boxe »

Originaire du Tarn, dont elle garde un léger accent, Maïva est une enfant turbulente et caractérielle. « J’étais bonne élève, mais j’avais des problèmes de comportement », explique-t-elle. Elevée par une mère célibataire avec quatre sœurs et un frère, elle tente d’abord de canaliser son énergie sur les terrains de football. « Ça ne se passait pas très bien, j’avais du mal avec le côté sport d’équipe. » A 14 ans, elle tombe sur l’affiche d’un club de boxe. Pourquoi pas ? Elle pousse les portes de la salle et rencontre son premier coach, Fabrice Cavard, qui devient un « père de substitution » : « Il me manquait des limites, des repères. J’ai été éduquée à travers la boxe. »

Maïva Hamadouche (au centre) lors du Championnat du monde IBF féminin des poids plumes qui l’a opposée à Jennifer Salinas des Etats-Unis, le 10 novembre 2016. | JEAN-DANIEL PERES

Sept fois vice-championne de France en savate et en anglaise, l’adolescente décide finalement de se consacrer au noble art. « En boxe française, les assauts se pratiquent à la touche, on est limité en puissance. Du coup, je me faisais souvent disqualifier, se souvient-elle. Moi, il me faut du combat ! Je ne comprends pas le principe de boxer sans appuyer les coups. »

« Je ne suis pas une tête brûlée »

En parallèle de ses entraînements, la jeune fille ne perd jamais de vue son objectif professionnel. A l’époque, Maïva Hamadouche ne rêve pas encore d’un destin à la Million Dollar Baby, mais d’une carrière dans la police nationale, « un rêve de gosse ». Au terme d’un parcours scolaire « sans embrouille » et une fois son bac ES en poche, elle intègre l’école de police de Rouen en 2009.

Après deux ans passés au commissariat d’Asnières-sur-Seine au sein de police-secours, elle devient membre de la compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) de Paris en 2014. « Un métier pas toujours facile mais passionnant », lâche celle qui multiplie les opérations de terrain. Pas question, en effet, de rester dans un bureau pour éviter d’éventuelles blessures. « Pour l’instant, la boxe est une priorité. Mes collègues sont derrière moi et font tout pour me préserver. Je ne suis pas une tête brûlée, mais en service je ne pense pas aux risques. Je fais ce que j’ai à faire. »

Soutenue par sa hiérarchie, la sportive bénéficie de jours de disponibilité pour sa préparation physique. La plupart du temps, elle prend son service à 14 h 30 et termine à 22 h 30, « au mieux ». Les matinées sont consacrées à la boxe, de 9 heures à midi, sept jours sur sept. Hamadouche n’a pas de temps à perdre. Passée pro en 2013, elle enchaîne les combats et accumule les ceintures : championne de France, double championne d’Europe, et depuis peu, donc, championne du monde. « En trois ans, j’ai accompli ce que beaucoup de boxeurs n’ont pas réussi à faire en une carrière. »

L’ascension fulgurante de Maïva Hamadouche est à l’image de son style sur le ring : offensif, agressif, frontal. Sa carte de visite : 14 victoires, dont 11 par K.-O., pour seulement une défaite (contre la Belge Delfine Persoon). « Je m’organise dans l’attaque, je suis là pour casser la boxe de mon adversaire. Si la fille qui est face à moi n’est pas au niveau, ce n’est pas mon problème », assène-t-elle. Trop confiante ou un brin provocatrice ? « Je veux simplement boxer les meilleures. Je n’ai pas envie de protéger mon palmarès à tout prix. »

« Les mecs supportent mal d’être dominés par une femme sur un ring. Ça les vexe. En sparring [entraînement], ils ne font plus de différence entre moi et un autre boxeur »

« Je vais enchaîner deux championnats du monde en deux mois, mais ça ne me fait pas peur. Ici, à la salle, je fais un championnat du monde par jour. » Faute de boxeuses suffisamment fortes, Hamadouche s’entraîne uniquement avec des hommes. « Les mecs supportent mal d’être dominés par une femme sur un ring, explique-t-elle un petit sourire en coin. Ça les vexe. En sparring [à l’entraînement], ils ne font plus de différence entre moi et un autre boxeur. »

« J’avance »

Dans ce sport ultramasculin, le respect se gagne à coups de directs et de crochets. Mais le sexisme qu’elle dénonce est surtout structurel : la plupart des médias spécialisés ignorent les boxeuses, leurs primes sont bien souvent dérisoires par rapport à celles des hommes et, lors des soirées de gala, les combats féminins ne sont là en règle générale que pour chauffer la salle, explique-t-elle en substance.

Jeudi 10 novembre 2016, le gala de boxe organisé dans la mythique Halle Carpentier, à Paris, est censé être l’événement pugilistique de cette fin d’année. La soirée se révèle plutôt décevante. La tête d’affiche, le champion d’Europe Cédric Vitu, est forfait, et le public, à 90 % masculin, privilégie les discussions entre copains à ce qu’il se passe entre les cordes. Mais peu avant 22 heures l’excitation commence à gagner les amoureux du noble art : Hamadouche est la prochaine à entrer sur le ring. « Avec elle, ça va y aller ! » Pendant dix rounds intenses, la Française impose son rythme et fait pleuvoir un déluge de coups sur son adversaire, l’Américaine Jennifer Salinas. Sans surprise, la Clichoise l’emporte largement à l’unanimité des trois juges.

« Mon ambition, c’est d’emmener la boxe féminine au sommet. » Elle se donne en tout cas les moyens pour y arriver. Celle qui se définit comme une « acharnée de l’entraînement » donne régulièrement des sueurs froides à son coach, Sot Mezaache, qui craint la blessure. « Maïva a la niaque, c’est une fille qui en veut et qui sait où elle va, souligne-t-il. Elle a tendance à en faire trop, à s’user. Il faut parfois la freiner, mais ça va de mieux en mieux. Avec l’âge, elle devient plus mature, moins fougueuse. » « Je suis ma pire ennemie, reconnaît l’intéressée. Sot me surveille comme le lait sur le feu. Parfois, on se dispute quand je ne veux pas poser les gants… »

Maïva Hamadouche (au centre) lors du Championnat du monde IBF féminin des poids plumes qui l’a opposée à Jennifer Salinas des Etats-Unis, le 10 novembre 2016. | Jean-Daniel PERES

Bavarde, Maïva Hamadouche se prête volontiers au jeu de l’interview lorsqu’il s’agit d’évoquer « les deux piliers de [s] a vie », la boxe et son métier de policière. C’est une autre paire de manches quand on aborde le côté privé. Collée dans un coin du ring – ce qui, au sens propre, ne lui arrive pas souvent – la jeune femme esquive ou élude. Issue d’un « milieu modeste », la boxeuse, célibataire et sans enfant, affirme avoir dû se « battre très tôt pour surmonter les épreuves ». « Brouillée avec [sa] famille proche », elle quitte la maison à 17 ans. Ses rapports avec sa mère, d’origine algérienne, se bornent à un coup de fil, une fois par an, pour son anniversaire. « Je fais avec, j’avance… »

« El Veneno »

Quand on lui demande qui sont ses modèles, Maïva Hamadouche cesse instantanément de se passer nerveusement la main dans les cheveux (coupés ras et décolorés en blond) et égraine, le regard de nouveau pétillant : Manny Pacquiao, Oscar Valdez, Alfonso Gomez… Que des combattants au style offensif et très physique. C’est d’ailleurs de son admiration pour ces deux grands boxeurs latinos que vient son surnom, choisi en espagnol : « El Veneno » (« le venin »). « Beaucoup d’adversaires potentielles ne voulaient pas me boxer parce qu’elles disaient que j’étais un “poison” sur le ring », explique, amusée, la championne. Et ses modèles féminins ? « Si je veux être la numéro un, je n’ai pas à en avoir. Quand je regarde les autres boxeuses, je me dis qu’elles ne font rien de plus que moi. » Dont acte.

Sereine et « archiprête » pour la remise en jeu de son titre le 21 janvier, Maïva Hamadouche voit déjà plus loin. « Je voudrais unifier les quatre ceintures (IBF, WBA, WBC et WBO) dans deux catégories de poids : super-plumes et légers. Je me donne entre trois et cinq ans pour y arriver. » Et après ? Une fois sa carrière terminée, la boxeuse se voit bien devenir coach et gérer à son tour la salle de Clichy. La policière, elle, aimerait intégrer des services spéciaux, la brigade de répression du banditisme (BRB) ou la brigade de recherche et d’intervention (BRI). Voire, pourquoi pas, devenir la première femme membre du groupe d’intervention du RAID. « J’ai plusieurs idées, mais je ne pourrais pas tout faire… »