Liliane Viale a du mal à qualifier le quinquennat qui s’achève. « Dire que je suis déçue, le mot est faible », soupire cette Marseillaise. A 65 ans, elle a voté à gauche « à toutes les élections » depuis ses 21 ans. Y compris pour François Hollande en 2012, « bien évidemment ». Mais on ne l’y reprendra plus. Mme Viale ne se déplacera pas pour la primaire à gauche, organisée par le Parti socialiste, dont le premier tour a lieu dimanche 22 janvier. « Je n’ai plus confiance. Quand on choisit un candidat issu du PS, c’est pour avoir un autre quinquennat que celui de la droite », martèle cette ancienne employée de la SNCF.

Elle n’est pas la seule électrice de gauche à avoir décidé de ne pas mettre de bulletin dans l’urne pour cette primaire. Début janvier, plus de 400 personnes ont répondu dans le cadre d’un appel à témoignage publié sur le site du Monde à la question suivante : « Comptez-vous aller voter à la primaire à gauche ? » Une majorité d’entre eux ont répondu par la négative. Ce résultat ne constitue en rien une tendance, mais les réponses apportées permettent tout de même de comprendre pourquoi certains ont choisi de ne pas prendre part à un scrutin qui a priori les concerne.

« Ce quinquennat, la droite aurait pu le faire », estime aussi Fabien Pedegert-Saliou, 22 ans. Cet étudiant boursier qui habite Bordeaux a voté François Hollande en 2012 et socialiste « aux régionales, aux départementales, aux européennes… », énumère-t-il. La prise de position du candidat Hollande contre la finance lors de son meeting au Bourget, son discours sur la jeunesse « sacrifiée, abandonnée, reléguée » dont il avait promis de faire sa « seule priorité » l’avaient particulièrement séduit et convaincu de choisir le PS pour sa première participation à une élection. A l’heure du bilan, il constate avec amertume que « les seules mesures de gauche ont été sociétales. Le mariage pour tous par exemple ». « Et encore... », selon lui, le président « n’est pas allé très loin sur la PMA », autorisée aux seules femmes qui sont en couple avec un homme.

« Il n’y a pas de grand fauve dans l’arène »

Mais ceux qui ont participé à notre appel à témoignage ne sont pas seulement sévères avec François Hollande. Ils sont nombreux à ne pas trouver leur compte parmi les sept candidats. « Cette primaire est un grand show, mais il n’y a pas de grand fauve dans l’arène », désespère Michèle, ancienne agrégée de lettres classiques à la retraite qui n’a pas souhaité donner son nom. « Aucun n’a la stature d’un président », dit encore Christine Rossi, qui vit à Grenoble. « J’aimerais voir émerger une personne qui fédérerait », poursuit-elle sans trop y croire.

Hormis de « petites différences », les candidats n’ont qu’un seul point commun selon Michèle : « Aucun n’est capable de gagner. » Cette Parisienne est allée voter à la primaire de la droite en novembre 2016 pour faire barrage à Nicolas Sarkozy, ce qu’elle assume – « On en est débarrassé, tant mieux ! » Mais la gauche n’aura pas son vote : « Qu’ils se débrouillent ! »

« Le système de primaire ne permet pas de dégager des projets, mais de faire une synthèse entre tous », analyse Laurent, chef d’entreprise de 50 ans. Une « synthèse » qui est tout artificielle selon cet habitant de Landerneau (Finistère), en désaccord avec le principe même de primaire. « Les frondeurs, ça a commencé dès le début du quinquennat de Hollande, rappelle-t-il. Je ne vois pas l’intérêt de la primaire, car on sait qu’ils sont incapables de se réunir. »

« L’objectif n’est pas de désigner le meilleur perdant »

Qui peut gagner ? C’est le seul critère qui vaille aux yeux d’Olivier Solliliage. S’il avait participé à la primaire, il aurait soutenu Benoît Hamon pour son programme « original ». Sa proposition de mettre en place un revenu universel a été au cœur des débats pendant la campagne. Selon lui, M. Hamon a le mérite d’interroger la relation de notre société au travail, « à l’heure où tant de Français sont sans emploi ».

« Mais l’objectif de cette élection n’est pas de désigner le meilleur perdant, c’est de désigner celui qui pourra se qualifier pour le second tour [de la présidentielle] », ajoute Olivier Solliliage. En cela, Emmanuel Macron est pour lui le seul capable de rivaliser avec Marine Le Pen et François Fillon, qui font la course en tête selon les sondages. Alors, il a même un temps envisagé d’aller voter à la primaire pour le candidat le plus à même de favoriser son poulain. Ironie du sort, selon ses calculs, il s’agirait de… Benoît Hamon, « le plus à gauche ».

Parmi les abstentionnistes, si une partie se disant de « centre gauche » reportera ses voix sur Emmanuel Macron (c’est le cas de Laurent), ceux qui sont à la recherche d’un candidat qui « incarne les valeurs de gauche » choisiront Jean-Luc Mélenchon. « Je ne suis pas d’accord avec tout son programme », précise Fabien Pedegert-Saliou. Mais il est conquis par sa vision « de long terme ». La « transition écologique » que le candidat de La France insoumise veut mettre en place « donne une perspective d’avenir », apprécie-t-il.

Liliane Viale hésite encore. Dans son entourage, « beaucoup de gens » vont voter Front national. « Parce que Marine Le Pen et surtout Florian Philippot ont un discours de gauche maintenant. » Personnellement, elle a « du mal » avec le FN et ne fait pas plus confiance à Marine Le Pen qu’à François Hollande. « Le FN aussi est divisé, entre les partisans d’une ligne droitière et ceux favorables à une ligne plus de gauche. » Alors, en avril, Liliane songe à s’abstenir. Pour la première fois.