Stéphane Peterhansel célébré en vainqueur, le 14 janvier à Buenos Aires, en Argentine. | FRANCK FIFE / AFP

« Je n’aime pas être mis en avant, cela me gêne. » Rentré la veille d’Amérique du Sud avec le team Peugeot, Stéphane Peterhansel, vainqueur du Dakar 2017, arbore un sourire détendu, mercredi 18 janvier au showroom des Champs-Elysées. Avec treize victoires en vingt-huit participations – sept en auto, six à moto –, il est le recordman absolu de la discipline. Malgré ce palmarès impressionnant, les badauds l’ignorent : personne ne le reconnaît sur le trottoir, pas plus que son coéquipier Sébastien Loeb d’ailleurs. Il l’avoue modestement : « Les vrais héros du Dakar, ce sont les motards, les motards amateurs .»

Ce qu’il n’a jamais été, son titre de champion de France d’enduro, conquis à 19 ans, lui permettant de sauter directement à la case professionnelle. A Vesoul, ville de son enfance, il regarde le Dakar à la télé avec son père, amateur de rallyes et de moto tout terrain. « Ce qui m’a attiré ce sont les paysages », se souvient-il aujourd’hui. Il conserve, à 51 ans, le même regard émerveillé d’alors. Pilote d’usine pour sa première participation, en 1988, chez Yamaha, il finit 18e. Le patron du constructeur japonais, Jean-Claude Olivier (mort il y a quatre ans dans un accident de la route) le prend sous son aile. « Il est la clé de mon succès », même quand il passe à la voiture. « Il m’a appris la fidélité, et que l’argent n’était pas tout. »

Arrivée de la 3008 DKR n°300 de l’équipage Peterhansel-Cottret, le 7 janvier à La Paz, en Bolivie. | A.Vialatte / ASO/A.Vialatte

« Ari était au top ! »

L’autre rencontre déterminante a lieu à près de « 150 km/h », lors de son premier Dakar. Alors qu’il bataille dans le sable, instable sur sa Yamaha, il voit débouler Ari Vatanen, qui mène sa 405 sans dévier sur le sol mouvant, à 200 km/h. « Ari était au top ! », rembobine-t-il. Plus tard, avec Jean-Paul Cotteret, son copilote sur dix-sept Dakar, ils discuteront de cette vision, regrettant qu’il n’y ait pas de voiture française dans la course.

Alors, quand des rumeurs annoncent, au début des années 2010, que Peugeot pourrait faire son retour sur le Dakar, Stéphane Peterhansel « fait tout pour rompre le contrat avec Mini », et tant pis pour le coût financier. Peugeot résonne particulièrement aux oreilles de l’enfant de Vesoul, où est implanté le centre de logistique PSA. Tout Vézélien a un frère, une tante, un père… parmi les 3 800 salariés.

Pour le constructeur français, ce retour annoncé n’est que la partie visible d’un challenge plus important. Après l’arrêt de sa participation en endurance, Peugeot Sport est à l’agonie. Bruno Famin est recruté pour prendre la direction de la structure, « il y a juste quatre ans », le 18 janvier 2012. Parmi ses propositions, le retour au rallye-raid, moins coûteux que l’endurance, est validé. Mais après vingt-cinq ans d’absence, le Lion ne peut pas se louper. Bruno Famin fait le pari d’investir dans les meilleurs pilotes.

« En sport automobile, ce qui coûte le moins cher, ce sont les bons pilotes. Ce sont eux qui font gagner les quelques minutes de la victoire. »

La première copie n’est pas bonne, les voitures ne sont pas au point. En un an, les ingénieurs vont corriger leurs erreurs, trouver les solutions. Entre-temps, Peterhansel a rejoint l’équipe française, en juin 2014. Leur savoir-faire épate le pilote, qui du coup se sent investi d’une lourde responsabilité : gagner. Il aborde le Dakar 2016 avec une pression énorme. Comme à l’accoutumée, il part doucement et ne remporte sa première victoire qu’au 4e jour. Le temps de l’adaptation visuelle, explique-t-il. « A part la Silk Way, le rallye-raid Moscou-Pékin de juillet, et les essais en novembre, je ne cours pas six mois avant le Dakar. Mes yeux sont habitués à percevoir la route à 130 [km/h]. Et tout à coup, vous roulez entre les arbres à 200 km/h, le paysage vous arrive en pleine figure. »

Stéphane Peterhansel et Bruno Famin à la tête de Peugeot Sport, « un super patron », à l’arrivée le 14 janvier à Buenos Aires (Argentine). | FRANCK FIFE / AFP

Sébastien Loeb, « un volant en or ! »

Il existe bien des simulateurs pour pallier ce manque, mais le pilote n’en est pas fan. Pourquoi changer, puisqu’il gagne. Le 16 janvier 2016, alors que l’on attendait son coéquipier Sébastien Loeb, c’est le discret duo Peterhansel-Jean-Paul Cottret qui offre la victoire à Peugeot, sa première sur le Dakar depuis vingt-six ans. « Mini a mis dix ans, Volkswagen a mis cinq ans pour l’emporter, Peugeot en a mis deux. »

Ce contrat rempli, celui que l’on appelle désormais « M. Dakar » aborde l’édition 2017 beaucoup plus cool. « Le Dakar en voiture, c’est le Club Med ! », déclarait-il en 1999 lors de son passage de deux à quatre roues. Cette fois encore, il démarre lentement, « un peu trop ». A l’issue de la première spéciale, Stéphane Peterhansel est 12e à 1 min 34 s du vainqueur, Nasser Al-Attiyah. « La Qatari était parti à fond cette année, ce qui nous inquiétait. » Ce dernier abandonne à la 4e étape, un pneu arraché.

La grosse frayeur survient sept jours plus tard. Deuxième au général lors de la 10e étape, Peterhansel heurte le motard Simon Marcic.

« C’est la première fois que ça m’arrivait. Il était perdu, j’étais perdu, il a surgi de derrière un arbre, à contresens. Lui, en freinant est tombé. Il me manquait deux mètres pour m’arrêter. Il a fini sous la voiture. »

Tout de suite, le pilote constate qu’il ne souffre « que » d’une fracture. Mais le soir, au bivouac, il s’effondre, en larmes. Bruno Famin est là, trouve les mots. Le motard slovène lui écrit : « Désolé que l’on se soit rencontrés dans ces conditions. Tu n’y es pour rien. A l’année prochaine. »

La cohabitation auto-moto est depuis toujours délicate sur le Dakar. Plus lentes que les voitures, les motos partent les premières, avant de se faire rattraper, puis dépasser. « Chaque jour on double cent trente motos en moyenne », rappelle l’expérimenté pilote Peugeot.

L’expérience, c’est aussi voir le motard de devant se planter, en 1988. Et apprendre qu’il sera tétraplégique à vie. C’est, quelques années plus tard, un de ses meilleurs copains qui meurt, sous ses yeux. « Pendant six mois, je ne voulais plus entendre parler de la course », se souvient Stéphane Peterhansel. Et puis il revient, « parce qu’on est accro ».

Aucune mort n’a endeuillé le Dakar 2017, une première depuis 2004. Une bonne nouvelle à mettre au crédit de l’organisateur pour Amaury Sport Organisation (ASO), Etienne Lavigne, et à des limitations de vitesse imposées à 50 ou 30 km/h dans les villages, au même titre que l’engouement populaire qui ne se dément pas, surtout en Bolivie.

La Peugeot de l’équipage Peterhansel-Cottret, le 13 janvier,  entre San Juan et Rio Cuarto, en Argentine. | FRANCK FIFE / AFP

Retrouver les dunes péruviennes

D’un point de vue sportif, en revanche, « on tourne un peu en rond entre l’Argentine et la Bolivie, juge Bruno Famin. Plutôt qu’un départ de Paris, qui serait anecdotique, on souhaiterait pour 2018 le retour au Pérou, afin de retrouver les dunes qu’il n’y a plus depuis deux ans. » A la clé, de belles images qui font rêver, et qui remplaceraient avantageusement les broussailles de cette année, qui « bousillent les moteurs ».

Pour Stéphane Peterhansel, les plus beaux paysages qu’il ait traversés depuis vingt-huit ans restent ceux du Sud algérien. Là où le Dakar n’est pas près de pouvoir retourner. Quant à 2018, il vient juste de réaliser que c’était une édition anniversaire – la 40e –, juste inratable, pour le pilote comme pour le constructeur. Après ? La nouvelle direction, pilotée par Carlos Tavares, arrivé à la tête de PSA en avril 2014, ne cache pas son intérêt pour l’endurance. « Beaucoup plus chère », rappelle Bruno Famin, dont l’enfance a été bercée par le doux bruit des Vingt-Quatre Heures du Mans.