Benoît Hamon, à son QG parisien après l’annonce des résultats du premier tour de la primaire à gauche, le 22 janvier. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Nicolas Chapuis, chef du service politique du Monde, a répondu à vos questions sur la primaire à gauche et les enjeux de l’entre-deux tour.

JiBé : Bonjour, quel enseignement tirer de la faible participation à cette primaire comparée à celle de la droite ? Cela confirme-t-il les sondages donnant le candidat PS cinquième au premier tour de l’élection présidentielle ?

Nicolas Chapuis : Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour le Parti socialiste. Une primaire tire sa légitimité de l’élan populaire qu’elle soulève et de son organisation. Avec un million de votants en moins par rapport à 2011 (chiffre provisoire) et près de trois millions de votants de moins que la primaire de la droite en novembre, la dynamique n’est clairement pas bonne. De plus, le flou autour de la participation (nous attendons encore les chiffres définitifs à cette heure) et du score final n’est pas de nature à donner confiance aux électeurs.

Cela ne préjuge en rien du futur score à la présidentielle du candidat issu de la primaire à gauche. La campagne va être longue et promet encore des surprises, si l’on en croit les multiples rebondissements qui ont eu lieu jusqu’à présent. Mais que ce soit Hamon ou Valls, le vainqueur dimanche prochain ne bénéficiera pas d’un tremplin comme en 2011.

Gatien : Bonjour, existe-t-il des chances que le perdant du deuxième tour choisisse de ne pas se ranger derrière le gagnant vu leurs différences idéologiques ?

Nicolas Chapuis : J’ai du mal à croire à un éclatement aussi spectaculaire du PS. Le perdant sera obligé de reconnaître sa défaite et de soutenir au moins en apparence le gagnant. Ne serait-ce que pour ne pas hypothéquer la suite de sa carrière politique, en portant la responsabilité de l’explosion du PS. Mais dans l’électorat, la fracture pourrait être réelle. Si Benoît Hamon l’emporte, les électeurs de Manuel Valls ne seront-ils pas tentés de voter Emmanuel Macron qui peut apparaître plus proche de leurs positions ? Le raisonnement est le même en cas de victoire de Manuel Valls : les électeurs hamonistes ne vont-ils pas se tourner vers Jean-Luc Mélenchon. Ce sera le défi du vainqueur : être capable d’empêcher l’hémorragie parmi les partisans de son adversaire.

Gilles : Un organisme autre que la haute autorité peut-il invalider le résultat de la primaire s’il estime que le vote s’est mal déroulé ? (Conseil constitutionnel ou autre ?)

Nicolas Chapuis : Nous n’en sommes pas là pour le moment. A l’heure où je vous réponds, nous attendons toujours de recevoir le fichier des résultats bruts par bureau de vote. Seul ce fichier nous permet de vérifier que les chiffres correspondent à ceux constatés sur le terrain. Le Parti socialiste plaide pour l’instant le « bug » informatique pour expliquer les dysfonctionnements observés. La haute autorité, dirigée par Thomas Clay, est censée surveiller le comité national d’organisation de la primaire, dirigé lui par Christophe Borgel. Mais c’est une élection organisée par un parti politique, pas par l’Etat. Le Conseil constitutionnel n’a rien à voir là-dedans. Si quelqu’un veut contester le résultat au-delà du parti, il doit se tourner vers la justice.

François Pesanti : Le fait que les chiffres aient été truqués de cette manière implique-t-il que les principaux candidats étaient d’accord pour gonfler les résultats ? A-t-on vent d’un accord de ce type ?

Nicolas Chapuis : Soyons prudents sur la formulation. A cette heure-ci, nous n’accusons pas le PS d’avoir « truqué » ses chiffres. Nous avons observé des irrégularités dans les comptes, et le PS a fini par reconnaître qu’il s’était trompé dans les chiffres publiés à 10 heures, en gonflant artificiellement le score de chaque candidat de manière proportionnelle. Ils ont plaidé un « bug » informatique. Nous n’avons pas de preuve que cette erreur est intentionnelle.

Ceci dit, à l’heure actuelle, nous ne connaissons ni la participation exacte, ni le score de chacun des candidats. Le nombre de bureau de vote a été revu à la baisse de 7 500 à 7 350. Et les estimations de participation ont beaucoup oscillé entre hier soir, cette nuit et ce matin. Cela fait beaucoup.

Dedalus64 : A quels facteurs attribuez-vous la première place de Benoît Hamon hier soir au sortir du premier tour de la primaire de la Belle Alliance populaire alors qu’il était un simple outsider au départ de la compétition ?

Nicolas Chapuis : Benoît Hamon a réussi à reporter la bataille idéologique en faisant en sorte que les débats tournent autour de ses propositions, notamment le revenu universel. Ses adversaires l’ont attaqué très fortement sur cette mesure, mais ont participé malgré eux à sa popularisation. Même si sa proposition paraît difficilement applicable, les électeurs se sont manifestement reconnus dans la gauche qu’il incarne, après un quinquennat jugé sévèrement.

Il a réussi aussi à préempter le créneau de l’écologie, avec une conversion qui a semblé sincère à ces problématiques. Alors que la France connaît des épisodes de pollution à répétition, les électeurs ont pu être sensibles à ses propositions.

Enfin, Benoît Hamon est parvenu à incarner la vraie alternative à Manuel Valls, qui faisait office de repoussoir lors de ce premier tour, pour beaucoup d’électeurs. Il a peu à peu grignoté son retard de notoriété sur Montebourg, avec une ligne davantage proeuropéenne qui a pu séduire un électorat de gauche social-démocrate.

ID : Bonjour, beaucoup de journalistes parlent d’un éventuel désistement du vainqueur de la primaire socialiste pour laisser la place à Macron. Est-ce vraiment possible ? Y a-t-il déjà eu un cas dans le passé, en France ou à l’étranger, où le vainqueur d’une primaire se serait désisté pour un autre candidat ? Ne se considèrent-ils pas plus « légitimes » après avoir gagné les voix du peuple ?

Nicolas Chapuis : Je ne sais pas quels sont les journalistes dont vous parlez mais ils ne sont pas au Monde. A l’heure actuelle, aucun indice ne nous permet de dire que le vainqueur de la primaire se désistera pour Macron (ou pour Mélenchon d’ailleurs). S’il sort de la primaire, adoubé par des centaines de milliers d’électeurs, le gagnant de la primaire peut considérer qu’il a toute la légitimité pour aller au bout d’une candidature présidentielle face à deux candidats qui n’ont que la légitimité de leurs bons sondages.

En revanche il est certain que si la dynamique sondagière reste très défavorable au candidat issu de la primaire à l’approche de la présidentielle, il subira une forte pression de membres du PS pour se désister. Les appels à voter utile (pour Macron ou Mélenchon) pourraient fleurir. Le candidat socialiste n’a aucune obligation d’y céder. Mais il est certain que le PS, qui a toujours fait le coup du vote utile aux autres, se retrouvera pris à son propre piège.

Distic : Vous parlez de « porter la responsabilité de l’explosion du PS », mais devant qui serait-ce un risque ? Si le PS explose, Macron et Mélenchon en porteront aussi la responsabilité, mais ça n’a pas l’air de les inquiéter…

Nicolas Chapuis : Si aucun candidat de la gauche n’est au deuxième tour, chacun voudra remettre la responsabilité sur l’autre, mais elle sera effectivement partagée. Et François Hollande aura aussi sa part dans l’affaire.

Salim : Bonjour, selon vous, « le perdant sera obligé de reconnaître sa défaite et de soutenir au moins en apparence le gagnant. Ne serait-ce que pour ne pas hypothéquer la suite de sa carrière politique, en portant la responsabilité de l’explosion du PS ». N’est-ce pas là le problème, un grave souci démocratique ? La professionnalisation du métier de politique empêchant un engagement honnête sur la base d’idées et de propositions, au profit de calculs de carrière ?

Nicolas Chapuis : C’est le mécanisme et la raison d’être de la primaire : les perdants se plient au choix des électeurs et soutiennent le gagnant. Sans ce présupposé de départ, la primaire perd tout son sens. Elle n’est plus un outil de rassemblement d’un camp. En revanche, on peut effectivement se poser la question de la tenue d’une primaire quand les options politiques sont aussi diverses.

Edmond : Que pensez-vous de l’immense cafouillage de l’annonce des résultats ? Fraude pour booster la participation ou désorganisation généralisée ? Votre intime conviction ?

Nicolas Chapuis : Mon « intime conviction » ne se base que sur des faits. Je n’ai pas à l’heure actuelle la preuve d’une fraude et je suis assez respectueux de la présomption d’innocence. En revanche, il est certain que ce cafouillage laissera des traces et que le PS n’a pas joué la transparence en refusant, à l’inverse de la droite, de nous donner le fichier des résultats jusqu’à présent. Est-ce un choix ou en sont-ils simplement incapables (d’un point de vue technique) ?

GuillaumeG : Bonjour et merci pour ce live. Peut-on imaginer une victoire écrasante au second tour de Hamon sur Valls comme nous avons eu à la primaire de la droite ?

Nicolas Chapuis : Je serais beaucoup plus prudent que cela. Benoît Hamon n’a pas creusé le même écart sur Manuel Valls que Fillon sur Juppé. A peine 5 à 6 points les séparent. Si Arnaud Montebourg a appelé à voter Hamon, rien ne dit que ses électeurs se tournent nécessairement vers l’ex-ministre de l’éducation. Montebourg a été très virulent contre Hamon dans la dernière ligne droite, l’accusant notamment de porter des réformes irréalisables avec son revenu universel. Est-ce que cette petite musique de la crédibilité va coûter des points à Hamon ?

A l’inverse, Manuel Valls ne semble pouvoir s’appuyer sur aucun report de voix. La marche semble haute. Benoît Hamon est en ballottage très favorable, mais tout dépendra de la participation… que nous ne connaissons pas encore pour le premier tour.

Péji : Bonjour. La probable victoire de M. Hamon dimanche va t-elle favoriser M. Macron au détriment de M. Mélenchon ? Dans ce cas, M. Macron serait idéalement placé pour titiller M. Fillon… Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Chapuis : Une victoire de Hamon semble dégager un espace au centre plus grand pour Macron, avec une droite très à droite et une gauche très à gauche. A l’inverse une victoire de Valls avantagerait Mélenchon. Mais ces calculs un peu simplistes ne valent pas grand-chose face à la dynamique d’une campagne. Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon semblent avoir un élan. Mais tout peut changer en trois mois de campagne.

Pierre : Pourrions-nous imaginer un rapprochement entre Hamon et Mélenchon si Hamon sortait vainqueur de la primaire ?

Nicolas Chapuis : Dans un premier temps, il est certain que non. Benoît Hamon aura la légitimité de sa primaire (même limitée) et Jean-Luc Mélenchon sera dans la poursuite de sa stratégie de contestation de l’hégémonie socialiste à gauche. Ils seront donc à fronts renversés. Mais le paysage politique évolue tellement rapidement en ce moment que je ne me risquerai pas à un pronostic sur les trois mois à venir.

Eustache Agboton : Est-il déjà arrivé, depuis l’organisation des primaires en France, à gauche comme à droite, que le second le remporte finalement ? Autrement, quelles sont les chances de Valls ? Et est-ce la certitude de perdre qui le rend si agressif depuis hier soir ?

Nicolas Chapuis : Lors des deux grandes primaires ouvertes (la gauche en 2011 et la droite en 2016), le premier au premier tour l’a emporté au final. Mais l’expérience passée ne prouve rien sur le résultat de dimanche prochain.

Sur la stratégie de Manuel Valls, vous avez raison, il a décidé dès hier soir de durcir le ton, considérant qu’il fallait faire une blitzkrieg contre Hamon. Il a décidé de l’attaquer sur deux aspects : son rapport à la laïcité, estimant que M. Hamon est flou quant à son rapport aux islamistes, et sa « présidentiabilité », jugeant que le député des Yvelines n’a pas la carrure pour la fonction.

Gibix : A quoi sert-il de commenter des résultats dont on ne sait rien de la valeur réelle ?

Nicolas Chapuis : Les écarts entre les différents candidats ne devraient bouger qu’à la marge. Nous commentons donc la seule information dont nous sommes sûrs : le deuxième tour opposera Hamon à Valls. Pour le reste, nous sommes transparents depuis ce matin sur les données que nous avons reçues, et surtout sur celles que nous n’avons pas reçues.

Electeur déçu : Bonjour, que peut-être la réaction du futur vainqueur de la Belle Alliance populaire sachant qu’il brigue une cinquième place pour la future élection présidentielle ?

Nicolas Chapuis : Il peut se dire qu’il va essayer de remonter la pente en allant dépasser les autres. Sinon il ne sert à rien d’y aller.

Gui : Benoît Hamon a réussi à mettre en visibilité certains thèmes habituellement peu développés comme l’Europe ou l’écologie. S’il gagne la primaire, pensez-vous que ces sujets pourront enfin être traités avec la place qu’ils méritent dans le débat politique ?

Nicolas Chapuis : S’il l’emporte au final, Benoît Hamon aura réussi en effet à l’emporter en mettant l’écologie au centre de son programme. Il devrait continuer avec la même stratégie pendant la campagne. Idem sur l’Europe. Mais ensuite c’est à lui de réussir à imposer ses thèmes dans le débat avec les autres partis. Une campagne se joue souvent là dessus : est-on capable d’imposer sur quels thèmes se déroule le débat ?

Présence : Bonjour Le Monde. La volonté des électeurs mesurée par les sondages s’était portée sur un projet rassembleur à droite avec Alain Juppé et un présidentiable à gauche avec Manuel Vals… Les deux primaires ne portent-elles pas des programmes plus clivants ?

Nicolas Chapuis : Nous n’avons pas publié de sondage sur la primaire de la gauche, estimant que le terrain était trop mouvant, la campagne trop courte et la participation trop incertaine.

Mais je vous rejoins sur votre analyse : si Benoît Hamon l’emporte, les deux primaires auront accouché de candidats tournés vers leurs bases électorales respectives et pas sur des candidats ouverts sur le centre. Nous aurions alors un candidat « bien à droite » et un candidat « bien à gauche ». En 2011, la primaire avait abouti davantage sur une offre de synthèse. Ce glissement est intéressant à observer.

Primaire à gauche : la soirée électorale en photos