Le 10 janvier, à l’entrée de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans le bassin rhénan. | SEBASTIEN BOZON / AFP

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) aura été l’un des grands feuilletons politico-écolo-économiques du quinquennat, comme Notre-Dame-des-Landes. Mais, contrairement au report sine die des travaux du nouvel aéroport de Nantes, l’arrêt des deux réacteurs alsaciens devrait être au moins acté avant le départ de François Hollande de l’Elysée. Au-delà du mois de mai, c’est l’inconnu. Si les candidats à la primaire à gauche et Emmanuel Macron sont favorables à une réduction de la part du nucléaire (75 % de l’électricité) et à la fermeture de la doyenne des centrales françaises (1978), le candidat de la droite, François Fillon, s’est engagé à la maintenir en activité s’il est élu président de la République.

Un nouveau chapitre doit s’écrire mardi 24 janvier : le conseil d’administration d’EDF se prononce sur l’indemnisation proposée par l’Etat au groupe d’électricité et à ses partenaires allemands et suisses cofinanceurs des installations. Soit 100 millions d’euros dans un premier temps, et des compléments en fonction de l’évolution de certains paramètres comme le prix de l’électricité, ce qui pourrait porter le coût de l’opération pour l’Etat à plus de 400 millions. On est loin des 80 millions à 100 millions pour solde de tout compte initialement proposés par la ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, qui avait essuyé un refus catégorique du PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy.

Départager les deux camps

Mais si le oui au protocole d’indemnisation l’emporte mardi, ce sera d’extrême justesse. Sur les dix-huit membres du conseil, les six représentants de l’Etat ne prendront pas part au vote : ils ne peuvent pas se prononcer sur le montant négocié avec la puissance publique sans être en conflit d’intérêts. De leur côté, les six administrateurs salariés (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC) rejettent une fermeture qu’ils jugent contraire aux intérêts des employés, de l’entreprise et du tissu économique local.

Restent les six administrateurs indépendants, dont M. Lévy, qui a une voix prépondérante pour départager les deux camps. Parmi eux, Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef, s’était singularisée, en juillet 2016, par son refus de voter l’investissement de 16 milliards d’euros dans les deux réacteurs EPR britanniques d’Hinkley Point. C’est probablement sur cette base qu’une rumeur court : la vice-présidente de l’institut IFOP serait prête à récidiver ! Un refus du conseil d’EDF obligerait le gouvernement à revoir sa copie, hypothèse improbable à trois mois de l’échéance présidentielle.

Ce n’est qu’après un feu vert de son conseil que M. Lévy transmettra à l’Etat actionnaire (à 85,6 %) une demande de fermeture. Le gouvernement pourra alors prendre un décret abrogeant l’autorisation d’exploiter Fessenheim. Toutefois, la centrale n’arrêtera pas de produire du courant tant que l’EPR de Flamanville (Manche), et ses 1 650 mégawatts (MW), ne sera pas raccordé au réseau – fin 2018, selon EDF. Ce qui compensera les 1 800 MW des deux réacteurs alsaciens fermés. Ainsi la capacité électro-nucléaire de la France respectera le plafond de 63,2 gigawatts (GW) inscrit dans la loi sur la transition énergétique.

La bataille n’est pas finie

François Hollande, qui a reçu M. Lévy début janvier pour faire le point sur la situation d’EDF, entend enclencher le processus de fermeture, faute d’avoir pu arrêter « immédiatement » la centrale durant son quinquennat comme le prévoyait pourtant l’accord de gouvernement signé par le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts, en novembre 2011. Une décision prise in extremis qu’il pourrait inscrire au registre des engagements tenus. « Le décret pourra être publié dans les semaines qui suivent » le vote d’EDF, a indiqué le ministère de l’environnement.

Chez Ségolène Royal, on tient fermement à l’arrêt de la centrale. Et l’on a clairement indiqué aux dirigeants d’EDF et aux administrateurs indépendants, seuls maîtres du jeu, que faute d’un vote positif, l’Etat pourrait exercer quelques représailles en différant deux décisions importantes pour l’entreprise : la prorogation du décret d’autorisation de création de l’EPR de Flamanville au-delà de son échéance du 10 avril, obligatoire en raison des retards du chantier ; et la publication d’un arrêté nécessaire au redémarrage du réacteur n° 2 de la centrale de Paluel (Seine-Maritime), arrêté depuis la chute d’un générateur de vapeur le 31 mars 2016.

Une fois l’arrêt de mort de Fessenheim prononcé, il sera toujours possible à une nouvelle majorité de revenir dessus.

Une fois l’arrêt de mort de Fessenheim prononcé, il sera toujours possible à une nouvelle majorité de revenir dessus. Possible, mais difficile. Elle devra, en effet, enclencher un long processus administratif pour relancer cette centrale. Pour l’heure, rien ne justifie la fermeture des deux réacteurs alsaciens : ni des raisons économiques ni un risque pour la sûreté. Rien, sinon la promesse faite naguère à des alliés politiques qui n’en sont plus.

Sur le terrain, la bataille n’est pas finie. Les élus du comité d’établissement de la centrale ont adressé une lettre ouverte aux administrateurs. Ils affirment qu’une fermeture anticipée serait « incohérente » après l’accord de Paris de 2015 sur le climat (le nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre) et « irresponsable » économiquement au moment où EDF, très fragilisé, ne peut se priver d’un moyen de production « rentable » qui a affiché « parmi les meilleures performances en terme de sûreté et de production du parc nucléaire » de 58 réacteurs.

Des salariés prêts à tout pour sauver la centrale

Les 850 salariés de Fessenheim sont très mobilisés et prêts à tout pour sauver « leur » centrale. Le 10 janvier, le comité central d’entreprise (CCE) du groupe, unanime, a rendu un avis négatif contre la fermeture anticipée. Indemnisation jugée « ridicule », suppressions d’emplois chez les prestataires de services, déménagement des salariés EDF, risques pour l’équilibre d’approvisionnement en électricité… « C’est une centrale sûre dont la fermeture serait coûteuse et socialement dangereuse », a affirmé Jean-Luc Magnaval, secrétaire CGT du CCE.

Les représentants du personnel s’appuient sur trois études qui reposent sur une hypothèse d’exploitation de soixante ans (soit encore vingt ans). Une durée de vie que la Nuclear Regulatory Commission a très souvent accordée aux centrales américaines. Or son homologue française, l’Autorité de sûreté nucléaire, qui a la réputation d’être un des « gendarmes » les plus sévères au monde, juge Fessenheim apte au service, même si la centrale est en zone inondable et dans une région sismique. Et, en matière nucléaire, l’âge d’une installation n’est pas un critère scientifique et industriel. Après la catastrophe de Fukushima en mars 2011, de coûteux travaux ont été entrepris pour renforcer sa sûreté.

L’étude financière du cabinet Secafi indique, par ailleurs, que la perte de recettes pour EDF serait comprise entre 1,6 milliard et 6 milliards d’euros suivant les prix de gros de l’électricité. Le rapport technique établi par l’institut Energie et développement estime que substituer du charbon (peu probable) et du gaz au nucléaire entraînerait le rejet de 7,89 millions de tonnes de CO2 supplémentaires chaque année. Quant à l’étude d’impact social réalisée par le cabinet Syndex, elle évalue la perte d’emplois à 2 000, dont la moitié chez les fournisseurs et les entreprises sous-traitantes.