• Andreas Schaerer
    The Big Wig

Chanteur, fondateur et leader, depuis 2005, de la formation Hildegard Lernt Fliegen (Hildegard apprend à voler), compositeur, le Suisse Andreas Schaerer a présenté, en septembre 2015, au Festival de Lucerne, une ambitieuse pièce pour grand orchestre d’une cinquantaine de musiciens. Intitulée The Big Wig, constituée de six parties, elle rassemble diverses approches de Schaerer, qui empruntent au jazz classique, notamment par sa pratique du chant scat, au cabaret, à la pop ouvragée ou la musique contemporaine. Le recours à une grande formation, ici l’orchestre du Lucerne Festival Adademy, dirigé par Mariano Chiacchiarini, avec cordes, vents, un important dispositif de percussions, se justifiant dans chacune des parties à l’écriture sophistiquée, en connaissance des masses des pupitres, évitant l’ornementation facile, le surlignage harmonique. Superbement écrit, dense dans son propos, tout en conservant de bout en bout une manière de clarté. Signalons aussi la qualité du film du concert, présenté sur 1 DVD, dont la réalisation prend le temps de faire vivre les musiciens et la musique. Sylvain Siclier

1 CD et 1 DVD ACT Music/PIAS.

  • Flo Morrissey + Matthew E. White
    Gentlewoman, Ruby Man

Pochette de l’album « Gentlewoman, Ruby Man »

L’exercice de l’album de reprises peut combler le creux d’une inspiration, mais témoigner aussi de fécondes réappropriations. A l’instar de réussites que furent des disques comme The Covers Record de Cat Power, Fakebook de Yo La Tengo ou Kicking Against the Pricks de Nick Cave, Gentlewoman, Ruby Man appartient à cette seconde catégorie. Fruit de la rencontre de l’évanescente chanteuse folk anglaise, Flo Morrissey, et du producteur et songwriter américain, Matthew E. White, ce recueil de duos fusionne ces deux personnalités, tout en jouant de leurs contrastes. Entre titres de grands anciens (Leonard Cohen, Velvet Underground, Roy Ayers…) et d’artistes contemporains (Frank Ocean, James Blake, Beck…), ces Lee Hazlewood et Nancy Sinatra d’aujourd’hui, réaniment des chansons célèbres (Suzanne, Grease, Sunday Morning…) et illuminent des pépites underground (dont l’étonnant Looking for You que Nino Ferrer avait enregistré en anglais, en 1974, avec l’Américaine Radiah Frye), lovés dans les sensuels arrangements pop-soul que White distille dans son studio de Richmond (Virginie). Stéphane Davet

1 CD Glassnote/Caroline-Universal.

  • Yacine Boulares, Vincent Segal et Nashett Waits
    Abu Sadiya

Pochette de l’album « Abu Sadiya »

Vincent Segal, encore ! A peine a-t-on repéré sa marque sur un album, qu’on le retrouve déjà ailleurs. Qui voudrait un jour recenser tous les projets musicaux dans lesquels le violoncelliste s’est impliqué aura la tâche ardue. Celui-ci lui a été proposé par Yacine Boularès, saxophoniste et clarinettiste de jazz franco-tunisien, installé aux Etats-Unis. Efficacement soutenus par le batteur américain Nash Waits (d’une souplesse quasi féline aux balais) tous les deux composent ensemble une scintillante suite instrumentale, toute en fluidité et couleurs mordorées. Elle raconte une histoire sans paroles servant de fil rouge. Celle d’Abu Sadiya, personnage mythique de l’imaginaire populaire tunisien, un vagabond musicien noir qui fut, dit-on, le guide des esclaves, à Tunis, au XIe siècle et l’inventeur du stambeli, un rituel animiste et une musique de transe, pratiqués par des musiciens guérisseurs descendants des esclaves noirs (on retrouve l’équivalent au Maroc, avec les gnaoua). Patrick Labesse

1 CD Accords croisés/PIAS.

  • Run The Jewels
    RTJ3

Pochette de l’album « Run The Jewels«

Diffusé depuis Noël sur les plateformes de téléchargement, le troisième album du duo formé par le rappeur d’Atlanta, Killer Mike et celui de New-York, El-P, sort enfin en physique. Marqué par la campagne électorale américaine - l’intello du groupe, Mike, soutenait Bernie Sanders – le disque se veut militant, anticapitaliste, et clairement anti-Trump. Le duo s’était uni, il y a quatre ans, pour proposer une association burlesque de personnages inspirés par les comics ou par les parcours de fous furieux. Trois albums plus tard, et plusieurs dizaines de meurtres de jeunes noirs par des policiers, plus tard, le duo met son extraordinaire dextérité au service de leurs engagements politiques. Ils invitent Zach de la Rocha, ex Rage Against The Machine sur l’explicite Kill Your Master, le saxophoniste de South Central, Kamasi Washington qui insuffle son jazz rageur sur Thursday In the Danger Room, la voix nasillarde de Danny Brown sur le très drôle Hey Kids. Seule femme de l’aventure, la chanteuse Joi, originaire d’Atlanta ouvre l’album avec Down. Leurs deux précédents disques étaient particulièrement courts, mais sur celui-ci, les deux rappeurs n’ont pas boudé leur plaisir et le nôtre non plus. Stéphanie Binet

1 CD RTJ3 Run The Jewels, Inc./A+LSO.

  • Victor Julien-Laferriere et Adam Laloum
    Sonate pour violoncelle et piano op.38 de Brahms. Sonate pour violon et piano de Franck (arrangement Delsart). Sonate pour violoncelle et piano de Debussy.
    Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Adam Laloum (piano).

Pochette de l’album « sonates pour violoncelle et piano »

La pochette du disque les montre silencieux, accoudés à leur chaise, deux amis à la table d’un café. Cette complicité sans paroles est exactement ce qui frappe à l’écoute du nouveau disque de Victor Julien-Leferrière et Adam Laloum. Les deux fleurons du jeune talent musical français livrent ici un enregistrement d’une maturité confondante, dont l’épure et l’apparente simplicité n’empêchent pas l’immersion dans des profondeurs peut-être moins avouables. Ainsi la Sonate de Brahms, dont la nostalgie élégiaque se teinte de vigueurs plus passionnelles, la fameuse Sonate de Franck pour violon, dont le passage au violoncelle ne pèse ni ne pose tant l’archet vire et volte, les doigts des deux compères distillant avec grâce une quintessence - charme, poésie, émotion. Debussy trouvera à qui parler, violoncelle et piano se livrant au jeu de la vérité et de la feinte improvisation avec une rare maestria : intermittences du coeur, entre tristesse et sarcasme dans le « Prologue », verve mutine et sensualité contrariée dans la « Sérénade », avant le « Finale » aux saveurs d’Espagne, dans la veine fruitée d’Iberia. Marie-Aude Roux

1 CD Mirare.