François Fillon s’exprimant devant la Fondation Konrad-Adenauer, le 23 janvier à Berlin. | TOBIAS SCHWARZ / AFP

Prendre de la hauteur. Lundi 23 janvier, alors que le PS s’empêtrait dans les chiffres de la participation à sa primaire, dont le premier tour était organisé la veille, François Fillon avait rendez-vous avec Angela Merkel à Berlin. Si ce déplacement avait pour but de soigner sa stature internationale, l’ancien premier ministre n’a pas pu s’empêcher de commenter l’actualité politique nationale, pronostiquant à la fois une défaite de Manuel Valls au second tour de la primaire et un nouveau « 21 avril » au premier tour de la présidentielle.

« Il va y avoir trois candidats de gauche qui vont s’étriper : Jean-Luc Mélenchon pour l’extrême gauche, Benoît Hamon qui représente un courant dur, celui des frondeurs, et Emmanuel Macron qui incarnera la politique de Hollande. Ces trois candidats vont se partager l’électorat de la gauche… », a-t-il déclaré, avant de confier en privé : « J’en tire comme conséquence que, dans ces conditions-là, ils vont avoir du mal à être au second tour. »

S’il prédit déjà un scénario catastrophe pour la gauche française, M. Fillon a toutefois une campagne à mener. Dans les semaines à venir, il ne compte pas multiplier les incursions à l’étranger. « La campagne se jouera en France », glisse un de ses conseillers. Mais ce voyage outre-Rhin était une étape « incontournable », selon son équipe.

« Quelqu’un de solide »

Pour François Fillon, l’enjeu était double. D’une part, se démarquer de ses adversaires, notamment d’Emmanuel Macron. Comme l’ancien ministre de l’économie, le candidat du parti Les Républicains à la présidentielle a déposé une rose blanche sur la Breitscheidplatz, en hommage aux victimes de l’attentat du 19 décembre. Mais, contrairement à lui, il a rencontré Mme Merkel, ainsi que deux de ses principaux ministres, Wolfgang Schäuble (finances) et Ursula von der Leyen (défense)…

Détail symbolique : à la différence d’Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy qui, lors de leurs dernières visites à Berlin, avaient été reçus au siège de la CDU, c’est à la chancellerie que M. Fillon s’est entretenu avec Mme Merkel. « Je la connais depuis très longtemps, j’ai travaillé avec elle à plusieurs reprises, a-t-il commenté à la sortie de l’entrevue. Et même si on a des désaccords sur un certain nombre de sujets, c’est quelqu’un de solide avec qui on peut avoir une relation de confiance. »

Mais au-delà de la photo de sa poignée de main avec la chancelière, aussitôt publiée sur son compte Twitter, M. Fillon était aussi à Berlin pour rassurer les Allemands. Tel était l’objectif du discours qu’il a prononcé, lundi après-midi, à la Fondation Konrad-Adenauer, proche de la CDU, lors duquel il a appelé à un « sursaut européen ».

Prolongeant son entretien publié un peu plus tôt dans Le Monde et la Frankfurter Allgemeine Zeitung, où il avait qualifié la relation franco-allemande d’« absolument fondamentale » et plaidé pour la mise en œuvre de « réformes structurelles » en France, ce discours était attendu.

« A la différence de Macron, qui s’est exprimé à Berlin dans un style flamboyant, Fillon a joué la sobriété, pour ne pas dire la technicité, observe Claire Demesmay, responsable du programme franco-allemand à la DGAP, un think tank de Berlin spécialisé dans l’étude des relations internationales. Mais, en expliquant que la France doit faire des réformes pour pouvoir parler d’égal à égal avec l’Allemagne, il a dit ce que les Allemands veulent entendre, d’autant plus qu’il a pris soin d’insister davantage sur la souveraineté européenne que sur la souveraineté française. »

« Manque de discernement »

« Son discours m’a semblé d’autant plus crédible qu’il n’a pas tourné autour du pot, analyse quant à lui Olaf Wientzek, coordonnateur des études européennes à la Fondation Konrad-Adenauer. D’un côté, François Fillon a clairement affiché sa volonté de coopération très étroite entre nos deux pays, notamment sur la zone euro et en matière de politique de défense ; de l’autre, il n’a pas hésité à marquer ses différences. »

Première divergence : la politique migratoire. « La France ne peut pas accepter plus de réfugiés », a expliqué M. Fillon. Un point de vue qui diffère, certes, de celui de la chancelière, mais qui rejoint celui d’une partie de la droite conservatrice allemande, et notamment de la CSU bavaroise. Seconde divergence : la relation à la Russie. Lundi, M. Fillon a ainsi déploré le « manque de discernement de l’Europe et des Etats-Unis » à l’égard de la Russie et plaidé pour une levée des sanctions si Vladimir Poutine se décide à appliquer les accords de Minsk. Le conseiller aux affaires internationales de M. Fillon, Bruno Le Maire, doit d’ailleurs se rendre à Moscou dans les prochaines semaines.

« Dire cela aujourd’hui, en Allemagne, alors qu’il y a une grande sensibilité à l’égard de la Russie, c’est assez osé », observe Henrik Enderlein, directeur de l’Institut Jacques-Delors à Berlin. Pour cet économiste, qui observe avec intérêt la campagne d’Emmanuel Macron, avec qui il s’est entretenu à Berlin début janvier, le discours de M. Fillon comporte des points qui peuvent satisfaire Berlin : « Dire qu’il faut faire des réformes et réduire les dépenses, cela ne peut qu’être vu positivement par les Allemands. »

Mais, selon lui, « ce discours ne va pas au bout des choses. Par exemple sur la défense : il propose une mutualisation des dépenses, mais sans définir une politique de défense et de sécurité commune. Ou encore sur l’euro, où il parle d’un fonds monétaire européen mais sans aller jusqu’à évoquer un ministre des finances. Comme souvent dans le franco-allemand, on jure que c’est très important, mais on ne dit rien de très concret », regrette M. Enderlein.

Malgré les sondages à la baisse et la difficulté de rassembler l’ensemble de sa famille, François Fillon continue de dérouler son agenda. Avec beaucoup de certitudes sur son programme et peu de doutes affichés sur l’issue de sa campagne. Parfois, le présent le rattrape, comme après sa rencontre avec Mme Merkel : « J’ai évoqué mes différences, maintenant on va travailler ensemble… Si j’ai la chance d’être élu… »