Mohammed Allouche (au centre), le chef de la délégation des rebelles syriens, à Astana, le 23 janvier. | KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Jusqu’à la dernière minute, des négociations tendues se sont déroulées dans la capitale kazakhe Astana, promue chef-lieu des premiers pourparlers entre les chefs militaires de l’opposition syrienne et les représentants du régime de Bachar Al-Assad. Organisée par la Russie, la Turquie et l’Iran, la rencontre devait aboutir à une déclaration des trois pays, mardi 24 janvier, dont les termes ont été âprement négociés jusque tard dans la nuit au sein même de la troïka. Un document « technique » pourrait, dans la foulée, associer les belligérants.

« Nous sommes proches d’une déclaration finale. Il y a des discussions très intenses car il ne s’agit pas seulement d’un bout de papier mais d’une cessation des hostilités pour sauver des vies », lançait mardi en fin de matinée Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Invité comme observateur, ce dernier a fini par s’imposer au cœur des échanges tendus qui ont duré vingt-quatre heures, en amont des prochains pourparlers censés s’ouvrir à Genève, le 8 février, sous l’égide cette fois des Nations unies.

Déterminée à ne pas repartir les mains vides d’Astana, la Russie a pesé de tout son poids pour infléchir la position de son partenaire iranien allié au pouvoir en place à Damas, sans obtenir plus qu’une cessation des hostilités. La république islamique est restée arc-boutée contre toute référence à la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’aide humanitaire, et surtout contre la résolution 2254, qui ouvrirait la porte à une transition politique en Syrie.

Critiquée pour ses bombardements meurtriers, qui ont permis au régime Assad de remporter sa plus grande victoire depuis le début du conflit en 2011 en reprenant, en décembre 2016, le contrôle des quartiers est d’Alep, la délégation russe est devenue, par contraste, l’interlocuteur le plus crédible aux yeux des rebelles affaiblis. « Ils veulent sortir de cette guerre, tout en maintenant leurs bases militaires en Syrie. Mais au moins, eux ont à peu près respecté la trêve, même s’il reste de la suspicion », estime un représentant des groupes armés de l’opposition syrienne.

« Nous avons toujours les armes »

Ce devait être le premier face-à-face entre « ceux qui ont véritablement prise sur le terrain », selon Moscou, au détriment des opposants politiques relégués à l’arrière-plan, mais seule la cérémonie d’ouverture, qui s’est ouverte lundi dans un hôtel de luxe d’Astana, a permis de saisir une photo inédite, celle de 13 chefs militaires de l’opposition syrienne assis autour de la même table avec le régime de Damas. Rapidement, le ton est monté, et les négociations se sont poursuivies à travers des portes closes, par médiateurs russes et turcs interposés. « Notre délégation est venue du front pour obtenir quelque chose, sinon nous avons toujours entre nos mains les armes », prévenait encore mardi matin Oussama Abou Zeid, un représentant des rebelles, dont plusieurs arboraient l’emblème de la « Syrie libre » à leur boutonnière.

Les discussions ont achoppé sur le fragile cessez-le-feu mis en place par la Russie et la Turquie le 30 décembre 2016, chacune des parties se renvoyant la responsabilité des violations de la trêve. Les tensions se sont en particulier cristallisées autour de Wadi Barada, une localité proche de Damas stratégique pour son approvisionnement en eau, où les combats ont repris. « Les négociations directes ne sont pas si importantes que cela, nous cherchons avant tout de la substance, des garanties », expliquait dans les couloirs Yahya Al-Aridi, porte-parole des rebelles. Ces derniers, venus avec un document de 10 pages, « précis au mètre près » sur les lignes de front selon un participant, n’ont pas cessé de mettre eu cause la présence des milices pro-iraniennes, accusées de poursuivre les affrontements sur le terrain.

« Quand nous serons sûrs que le cessez-le-feu sera effectif, alors nous pourrons passer à une autre étape », déclarait Mohammed Allouche, le chef de la délégation rebelle irrité par « l’arrogance » du représentant du régime syrien, Bachar Jaafari, l’ambassadeur de Syrie à l’ONU, qui a désigné ses interlocuteurs comme des « bandes terroristes ». Une vingtaine de villes syriennes resteraient assiégées par les forces de Bachar Al-Assad, soit 600 000 personnes dépourvues de tout – tandis que deux localités chiites pro-régime, Foua et Kefraya, sont encerclées par les rebelles. Dans ces régions, l’aide humanitaire ne parvient toujours pas aux civils, malgré les assurances contraires fournies par Damas. En janvier, un seul convoi de l’ONU a pu traverser les lignes gouvernementales.

La délicate question des prisonniers

Les rebelles souhaitaient, prudemment, aborder un autre volet concernant la libération de prisonniers, en limitant pour le moment cet aspect aux femmes et aux enfants. « Une liste précise de 30 000 noms, avec les lieux, a été présentée », assure le dissident Omar Kouch. « C’est l’un des sujets dont on parle le moins », relevait un diplomate européen présent à Astana, qui, comme plusieurs de ses pairs, a assisté en spectateur, confiné dans les couloirs, aux discussions. Seul l’ambassadeur américain au Kazakhstan, George Krol, en mission pour le compte de la nouvelle administration américaine de Donald Trump, a eu la possibilité de prononcer quelques mots lors de la cérémonie d’ouverture, assis sur un strapontin.

Selon les estimations des Occidentaux, plus de 200 000 personnes seraient portées disparues en Syrie depuis le début du conflit. « Toutes les tentatives précédentes dans ce domaine ont échaudé les rebelles, rapporte le diplomate européen. Lorsque l’opposition a donné des listes, on n’a plus entendu parler des noms avancés ou bien cela a abouti à alourdir les peines de ceux emprisonnés, et cela tétanise tout le monde. »