Le président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat (2e R), prononce un discours lors d’une audition solennelle pour marquer le début de l’année judiciaire, à Paris, le 23 janvier 2017. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Face à la « déferlante » de dossiers terroristes qu’il va falloir juger dans les prochains mois et prochaines années, la juridiction parisienne aimerait bien bénéficier d’un coup de pouce du législateur. Jean-Michel Hayat, le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, a appelé de ses vœux lundi 23 janvier, lors de l’audience solennelle de rentrée, un vote « avant la fin de la législature » par l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à réduire le nombre de magistrats composant la cour d’assises spéciale.

Ce texte émanant de sénateurs Les Républicains (LR) et UDI, voté également le 10 janvier au Sénat par les élus socialistes (PS), prévoit de réduire de six à quatre le nombre de magistrats professionnels appelés à siéger comme assesseurs autour du président des assises en première instance, et de huit à six en appel. Cette cour d’assises, sans jury populaire, a été créée en 1986 pour juger les crimes terroristes afin d’éviter le risque de menaces sur les jurés.

L’examen de cette proposition de loi, transmise à l’Assemblée, n’est pas encore programmé. Selon le ministère de la justice, vingt-deux affaires de terrorisme sont programmées devant la cour d’assises spéciale en 2017 et cinquante-cinq devraient l’être en appel en 2018.

« Juger environ treize affaires de plus par an »

Lors de la rentrée de la cour d’appel de Paris, le 16 janvier, Catherine Champrenault, procureure générale, avait insisté sur l’intérêt d’une telle réforme qui « permettrait, sans amoindrir les droits des accusés, de dégager 135 jours d’audience et de juger environ treize affaires de plus par an ».

Le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, n’a pas apporté son soutien à la proposition de loi, affirmant que le gain était limité à 2,25 équivalents temps plein travaillé de magistrats du siège. Il a affirmé, le 10 janvier devant le Sénat, que « cette mesure aboutirait à réduire la collégialité, alors qu’il s’agit d’affaires extrêmement graves et sensibles ». Le spectre d’une justice d’exception pour les crimes terroristes n’est pas loin.

Le président du TGI de Paris a balayé ces arguments, lundi, contestant les calculs de la chancellerie en prenant l’exemple du prochain procès de la cellule djihadiste dite Cannes-Torcy : vingt personnes vont comparaître à partir d’avril pendant trois mois devant la cour d’assises spéciale, au sein de laquelle les assesseurs, par exemple un juge aux affaires familiales et un juge d’application des peines, devront délaisser leurs cabinets, pourtant débordés par ailleurs.

Hausse de 90 % des informations judiciaires pour terrorisme

Face au terrorisme, comme à tous les autres contentieux de nature civile ou pénale, revient toujours la question des moyens de la justice. Alors que le terrorisme prend une part croissante des dossiers traités par les juges de la liberté et de la détention (JLD), comme les demandes de prolongation de détention provisoire (30 % concernent désormais le terrorisme), M. Hayat a affirmé que les dix JLD parisiens ont rendu 22 000 décisions en 2016 ! Un onzième juge a pris ses fonctions le 1er janvier.

François Molins, procureur de la République, a souligné, lundi, que le parquet de Paris n’a plus un seul poste de magistrat vacant (ils sont 134), contrairement à la plupart des parquets de France. Le nombre de juges du siège spécialisés, comme les juges d’instruction ou les JLD, a été augmenté.

1 236 personnes sont mises en examen ou recherchées dans 384 dossiers en cours

Le nombre d’informations judiciaires ouvertes pour terrorisme a bondi de 90 % en 2016. Selon M. Molins, 1 236 personnes sont mises en examen ou recherchées dans 384 dossiers en cours. A ce jour, 693 Français, dont 288 femmes et 20 mineurs, sont identifiés comme combattants dans les rangs de l’organisation Etat islamique.

La caractéristique de l’année écoulée aura été l’émergence de la question des mineurs. Soit de par le risque que représente le retour de la zone irako-syrienne de mineurs embrigadés ou ayant combattu, soit de par le cas de jeunes radicalisés en France, parfois téléguidés depuis la Syrie via les réseaux sociaux. Cinquante et un mineurs sont aujourd’hui mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste (contre treize il y a un an) dont onze de moins de seize ans.

Les autres contentieux souffrent de la priorité donnée au terrorisme

Dans ce contexte, d’autres contentieux, comme ceux liés à la construction ou aux banques, souffrent de la priorité donnée au terrorisme. Près de 30 % des postes dans les tribunaux d’instance de la capitale sont aujourd’hui vacants.

Autre illustration de cette justice en souffrance donnée par François Molins, l’affaire du Mediator. « Notre réquisitoire définitif est prêt depuis juillet 2014 », souligne-t-il, mais les recours procéduraux se multiplient et ont empêché à ce jour de franchir l’étape suivante qui sera l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

« Si la procédure est la sœur des libertés, elle peut devenir la cousine de mauvaise foi »

Alors que 4 248 victimes sont recensées dans ce scandale de santé publique, le procureur déplore que sur « six ans de vie de ce dossier judiciaire, moins de trois ans ont été consacrés aux investigations et les trois années suivantes ont été exclusivement consacrées à la procédure à la suite de multiples recours de la défense des mis en cause ». Pour le procureur, « si la procédure est la sœur des libertés, elle peut devenir la cousine de mauvaise foi ».

Pour Marie-Aimée Peyron, futur bâtonnier de Paris, le problème n’est pas le nombre des recours, qui relève des droits de la défense, mais vient de la durée que prend leur examen, et donc des moyens de la justice pour traiter ce contentieux.