ILLUSTRATION : TINO POUR « LE MONDE »

Nous sommes en 2025. Dans les entreprises, le nombre de commerciaux, comptables, gestionnaires de paie, responsables marketing ou logistique a fondu. Une grande partie de leurs tâches est réalisée par des logiciels ou des robots intelligents. En ville, les chargés de clientèle des banques ont disparu, le client faisant toutes ses opérations en ligne. Dans les rédactions des médias, des logiciels lisent des rapports et en font des articles. Dans les cabinets d’huissiers ou d’avocats, des machines identifient immédiatement les informations importantes dans les piles de documents.

Fiction ? Dans un rapport choc paru en janvier 2016 et intitulé rapport « Technology at Work v2.0 », l’université d’Oxford, en Angleterre, estime que 57 % des emplois actuels des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) risquent de disparaître. Les progrès en termes de ­ « machine learning » et d’intelligence artificielle bouleversent à grande vitesse le monde du travail. Des logiciels sont capables de prendre des décisions, de chercher ou synthétiser de l’information, de répondre à des questions complexes, de conseiller des clients ou encore de conduire des voitures.

Un marché polarisé

Car le vrai changement est là : alors que les machines avaient, au XXe siècle, remplacé les ouvriers, les secrétaires ou autres fonctions administratives peu qualifiées, c’est désormais tout un pan des emplois de la classe moyenne et supérieure qui sont touchés, comme l’explique également Martin Ford dans son best-seller Rise of the Robots, paru en 2015 aux Etats-Unis et non traduit. Message-clé : « Quelqu’un peut-il faire votre job en apprenant les tâches que vous faites, comme un étudiant qui se préparerait à un test ? Si oui, il y a de bonnes chances pour qu’un algorithme soit un jour capable de faire la plupart, ou la totalité, de votre job. »

L’une des conséquences les plus spectaculaires de cette évolution ? La polarisation croissante du marché du travail, entre des emplois très qualifiés d’un côté, et les non qualifiés de l’autre. « On assiste à une destruction rapide des emplois intermédiaires », résume Bruno Teboul, vice-président de Keyrus, un cabinet qui étudie la transformation numérique des entreprises. On peut s’en effrayer, mais on peut aussi y voir des aspects positifs, dès lors que les tâches routinières ou pénibles sont supprimées. « Le problème, c’est que les emplois détruits ne sont pas remplacés en nombre égal. Le modèle de destruction créatrice de Schumpeter est obsolète. Le risque est d’avoir un chômage technologique massif dans les années à venir », estime-t-il.

« Les banques recrutaient beaucoup de bac + 2, + 3. Cela fait trois ans qu’elles recrutent de plus en plus de bac + 4, + 5 »
Béatrice Layan, responsable de l’Observatoire des métiers de la banque

Dans ce marché du travail de plus en plus polarisé, et avec un taux de chômage important, les études jouent plus que jamais leur rôle de filet de sécurité. « La barre monte, résume Augustin Landier, enseignant-chercheur à la Toulouse School of Economics. Beaucoup de tâches qui relevaient avant tout de la mémoire sont obsolètes, et les nouveaux emplois qualifiés requièrent toujours plus de compétences », estime-t-il. Le master à tout prix, donc ? « En fait, cela dépend du secteur. Par exemple, dans la santé, le social, il reste de nombreux emplois intermédiaires. Ce sont des domaines où le contact humain est fondamental, et où la machine est encore loin de pouvoir se substituer », poursuit Augustin Landier.

Reste que, dans la plupart des métiers de l’entreprise et de l’administration, le bac + 5 devient, de plus en plus, « la norme », remarque Nathalie Hector, directrice des programmes de Kedge, une école de management, qui possède à la fois des formations bac + 3 et bac + 5.

Miser sur les humanités

Une évolution très visible dans le secteur de la banque, à l’heure où la fréquentation des agences est en chute libre et où l’activité se déplace en ligne. « Traditionnellement, les banques recrutaient beaucoup de bac + 2, + 3. Cela fait trois ans qu’elles recrutent de plus en plus de bac + 4, + 5. Et cela est directement lié aux évolutions numériques. Les banques veulent de plus en plus d’expertise. Elles ont moins de besoins en termes de gestion d’opérations courantes, elles veulent des gens capables de conseiller, d’analyser, de développer une relation commerciale, même en ligne », rapporte Béatrice Layan, responsable de l’Observatoire des métiers de la banque. Autant de compétences qui s’acquièrent via des études longues.

Un master, donc, oui, mais lequel ? Dans ce contexte, les jeunes qui optent pour des spécialisations au cœur de ces transformations s’assurent une place sur le marché du travail : spécialistes en data science, en intelligence artificielle, en réalité virtuelle, en droit de la robotique, développeurs… Quant aux autres, l’enjeu sera d’apprendre à travailler avec ces nouveaux logiciels intelligents, d’en connaître les potentialités, et les limites.

A Kedge, on entraîne les étudiants à être agiles dans ce monde de robots. « Par exemple, on les aide à construire leur CV spécifiquement pour se faire repérer dans les process de recrutement automatisés. On travaille sur leur personal branding sur ­Internet, et sur la manière d’utiliser les forces et les faiblesses de ces algorithmes », illustre Nathalie Hector. Cette école de commerce met aussi l’accent sur l’initiation au code informatique, l’analyse et le traitement des données, et surtout sur les « soft skills » (« compétences douces »).

Ces dernières revêtent désormais une importance cruciale, tout simplement car les machines en sont – pour le moment – dépourvues : la créativité, l’intelligence émotionnelle, l’empathie, la pensée critique… D’ailleurs, d’après la Banque mondiale, ces qualités sont celles qui seront les plus recherchées par les entreprises en cette période de « quatrième révolution industrielle ».

Dans le secteur des assurances, on mise déjà beaucoup sur ce type de compétences, qui donnent un nouveau sens au travail, au-delà de la machine. « Aujourd’hui, avec la numérisation, on a moins besoin de profils juridico-administratifs, mais davantage de personnes ayant le sens du service, qui sauront se mettre à la place du client, avec empathie et pédagogie. C’est encore plus important aujourd’hui, car la vraie révolution en cours, c’est la révolution servicielle. En réalité, le déploiement des nouvelles technologies réaffirme la primauté des relations humaines », estime Norbert Girard, directeur de l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance.

Enfin, ceux qui ont des compétences transdisciplinaires – qui sont capables d’avoir une vision globale, de faire le lien entre différents problèmes… – seront aussi valorisés. « C’est pour cela que je pense que les humanités ont un grand avenir, estime Bruno Teboul. Il faut conserver un regard critique, pour ne pas construire une nation assujettie aux machines. »

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