LA LISTE DE NOS ENVIES

Au menu cette semaine : la déjà célébrissime comédie musicale de Damien Chazelle (La La Land), des scènes filmées par les Frères Lumière (Lumière ! L’aventure commence), une apocalypse japonaise (Barberousse) et une folie gothique (La Maison de la mort).

CHANTONS SOUS LE SOLEIL : « La La Land », de Damien Chazelle

LA LA LAND Bande Annonce VOST (Ryan Gosling, Emma Stone - 2017)
Durée : 02:15

Tout commence par un plan-séquence époustouflant. Un matin, à Los Angeles, un immense embouteillage paralyse l’autoroute. Tout à coup, une musique enjouée et jazzy retentit à la radio. Les gens sortent, se mettent à chanter et à danser sur la route, en une grande chorégraphie collective. A la fin de la chanson, tout ce petit monde retourne dans sa voiture, comme si de rien n’était : le trafic peut reprendre et le récit démarrer. Dès son ouverture exaltante, le troisième long-métrage de Damien Chazelle (Whiplash, 2014) réactive un sentiment d’euphorie et de bonheur dont seule l’Amérique florissante des années 1950 s’était jusqu’alors montrée apte. La La Land raconte une histoire typiquement liée aux mythologies de la cité des Anges : celle d’un miroir aux alouettes aux dimensions d’une ville entièrement vouée au spectacle, et les désillusions qui se cachent sous ses promesses de réussite.

Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling), deux jeunes gens à l’élégance intemporelle, se rencontrent à plusieurs reprises et tombent amoureux. Elle court les castings dans l’espoir de devenir un jour comédienne. Lui joue du piano dans des clubs douteux et des fêtes d’anniversaire, en attendant de composer la musique qu’il aime vraiment. A 30 ans ou presque, la reconnaissance et le succès n’ont toujours pas frappé à leurs portes.

A mi-parcours, la romance cède le pas à la vie de couple et à ses crispations, basculant dans une tonalité douce-amère de plus en plus prononcée. La comédie romantique et musicale se renverse et révèle le véritable ferment de son énergie sautillante : un indécrottable sentiment de mélancolie. La mélancolie des rêves qui s’envolent, d’une impossible fidélité à soi-même, d’une coexistence illusoire entre la pureté de ses intentions et le besoin de gagner sa vie. Mathieu Macheret

Film américain de Damien Chazelle, avec Emma Stone, Ryan Gosling, J. K. Simmons, Finn Wittrock, Callie Hernandez (2 h 06).

TOUTE PREMIÈRE FOIS : « Lumière ! L’aventure commence », de Louis Lumière et ses opérateurs

BANDE ANNONCE - LUMIERE! L'aventure commence
Durée : 01:24

Il ne fait mystère pour personne que le cœur de Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, bat à Lyon. Le Lyon des quartiers populaires, où il passe une partie de sa jeunesse, le Lyon où il dirige aussi le célèbre Institut Lumière. Quel rapport avec le film qui nous arrive ? Etroit. Car l’Institut Lumière était à l’origine la villa de l’industriel fantasque Antoine Lumière, père des frères Louis et Auguste, inventeurs du cinématographe. L’institution est donc le foyer du culte légitime qu’on rend à ces pionniers, en même temps que la détentrice d’un fonds patrimonial inestimable de quelque mille quatre cents « vues Lumière », ces minifilms splendides, tournés entre 1895 et 1905, à Lyon comme dans le vaste monde, par la fratrie elle-même (quasi exclusivement par Louis en réalité) ou ses opérateurs.

Thierry Frémaux en a donc choisi cent huit, les a habillés d’un commentaire et d’une musique (Camille Saint-Saëns), et roule carrosse : un coffret DVD tout d’abord (consécutif à l’exposition « Lumière », très réussie, qui eut lieu en 2015 au Grand Palais à Paris) et aujourd’hui cette sortie en salle. Ce qui frappe avant toute chose, et contribue à les rendre si émouvant, c’est le sentiment des « premières fois », qui sont ici innombrables. Premier film, premier travelling, premier gros plan, première comédie, premier documentaire. L’impression que tout le cinéma, en ses genres, ses puissances et ses formes, est trouvé d’emblée lors de ces gestes inauguraux. C’est bien la découverte de l’archéologie technologique, industrielle et artistique de cet art merveilleux que nous donne à voir ce programme. Jacques Mandelbaum

Films français de Louis et Auguste Lumière, ordonnancés et commentés par Thierry Frémaux (1 h 30).

L’APOCALYPSE EN PLEIN CŒUR DU JAPON FÉODAL : « Barberousse », d’Akira Kurosawa (reprise)

Rétrospective Akira Kurosawa : Deuxième partie - Bande annonce HD VOST
Durée : 02:04

Le distributeur Carlotta a entamé depuis bientôt un an une rétrospective au long cours des œuvres du grand Akira Kurosawa (1910-1998), le plus occidental des cinéastes japonais, qui se poursuit avec une seconde livraison de huit titres restaurés. Parmi eux, un film qui fait battre le cœur plus vite et plus fort que les autres : Barberousse (1965). Dans le Japon du début du XIXe siècle, Barberousse est le sobriquet d’un médecin tempétueux et revêche, régnant sur le dispensaire dont il a la charge. Le jeune Yasumoto, étudiant en médecine formé à l’école hollandaise, promis à un brillant avenir à la cour du seigneur local, vient en simple visite dans cet hospice répugnant, peuplé de gueux et de déshérités, mais s’y retrouve assigné contre son gré jusqu’à nouvel ordre.

D’abord effarouché, le novice se drape dans sa dignité, puis fléchit au contact du grand médecin, qui lui apprend à se départir de ses préjugés comme de son parti pris de classe, à regarder la maladie et la mort en face, enfin à devenir un homme. Débordant d’humanisme, Barberousse vaut pour son approche feuilletonnante, qui dresse un tableau impitoyable des turpitudes sociales, dans un Japon féodal pas si éloigné de l’ère moderne : histoires de nymphomanie, d’adultère, de prostitution, de mendicité, d’incestes et d’usurpations familiales se succèdent dans un déluge dantesque. Enchâssant les récits successifs de la condition prolétarienne comme autant de nouvelles, Barberousse s’affirme comme un grand continuateur des recueils médiévaux, tel le Décaméron de Boccace. M. M.

Film japonais d’Akira Kurosawa (1965), avec Toshiro Mifune, Yuzo Kayama, Tsutomu Yamazaki, Reiko Dan, Miyuki Kuwano (3 h 05).

FOLIE GOTHIQUE : « La Maison de la mort », de James Whale (DVD)

Boris Karloff et Gloria Stuart dans « La Maison des morts » de James Whale. | DR

James Whale (1889-1957), d’origine britannique, vétéran de la Grande Guerre et homme de théâtre, est venu tourner des films à Hollywood au début des années 1930, sur l’invitation de la Paramount. Carl Laemmle Jr. le prend sous contrat au sein d’Universal en remplacement de Robert Florey pour adapter le Frankenstein de Mary Shelley. Splendide, la version qu’en tire James Whale en 1931 imprime pour longtemps ses images puissantes et déchirantes dans la conscience collective, et sera même surpassée par sa suite, la magnifique Fiancée de Frankenstein (1935).

Ouvertement homosexuel, longtemps cantonné au genre fantastique, Whale s’identifiait aux monstres qu’il mettait en scène, reflets de la différence et victimes de l’intolérance que celle-ci suscite parmi les gens dits « normaux ». La Maison de la mort ne dévoile aucun monstre, mais toute une galerie de personnages brinquebalants et dégénérés. Tiré d’un roman de John B. Priestley, le film appartient à une sous-catégorie de l’épouvante, autour d’une « maison maudite ».

Un soir de tempête, un groupe d’amis en voiture brave les éléments sur une route escarpée du Pays de Galles, avant qu’un glissement de terrain ne les pousse à se réfugier dans une bicoque isolée, peuplée d’hôtes plus inquiétants les uns que les autres. La famille dysfonctionnelle qui s’y déploie préfigurant celle de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) offre évidemment un reflet inversé du modèle familial américain, révélant ses tares enfouies : perversions sexuelles, névroses, violences et abus divers, constituent le fond de son legs à travers les âges. M. M.

Film américain de James Whale, avec Boris Karloff, Melvyn Douglas, Charles Laughton (1932, 1 h 10). 1 DVD, Elephant Films.