Martin Schulz, le 24 janvier. | Michael Sohn / AP

Editorial du « Monde ». On connaît désormais l’adversaire qui affrontera Angela Merkel pour les élections générales de l’automne : il s’agit du social-démocrate (SPD) Martin Schulz, président sortant du Parlement européen, qu’il a su incarner avec brio.

Natif d’Aix-la-Chapelle, cet ancien libraire de 61 ans fut élu eurodéputé en 1994 et révélé au grand public en 2003 lorsque Silvio Berlusconi lui suggéra, en séance plénière à Strasbourg, de jouer le rôle du kapo dans un film sur les camps de concentration. Polyglotte, il fut l’interlocuteur privilégié de François Hollande, qui chercha en vain à contourner Angela Merkel.

Au fond, le bouillant Schulz est plus européen qu’allemand, carolingien que berlinois, latin que protestant. C’est son avantage et son risque, alors qu’il se lance dans la course à la chancellerie. Le SPD, le plus vieux parti d’Allemagne, fondé en 1875 sous Bismarck, traverse une crise existentielle. Il est crédité d’environ 20 % des voix, très loin derrière la CDU d’Angela Merkel.

Une triple malédiction

Ses dirigeants berlinois le savent mais sont incapables de remonter la pente. C’est ce qui explique que le ministre des affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier, se retirera en février au poste prestigieux de président de la République et que Sigmar Gabriel, président du parti depuis sept ans et vice-chancelier, a décidé de jeter l’éponge. La présidence du SPD et la candidature à la chancellerie sont transmises à Schulz, sans psychodrame à la française.

Il y a quelque chose d’injuste dans le destin du SPD. C’est lui qui a remis l’Allemagne sur les rails, sous l’impulsion de Gerhard Schröder avec les lois sur le travail ; c’est lui qui s’est opposé en 2003 à l’aventurisme américain en Irak à une époque où Angela Merkel, alors chef de l’opposition, rendait visite à l’équipe Bush à la Maison Blanche. C’est encore lui qui a imposé l’introduction d’un salaire minimum, alors que les inégalités devenaient trop criantes.

Las, le SPD a subi une triple malédiction. Celle d’Angela Merkel, championne en triangulation, qui lui a chipé ses idées sociales et gouverne au centre. Celle des Verts, qui ne sont pas un groupuscule à la française mais incarnent les « bobos » modernes et écologiques et privent les sociaux-démocrates d’un pan entier de leur électorat potentiel.

Coalition de gauche impossible

Celle de Die Linke, alliance improbable entre les néocommunistes de l’ancienne Allemagne de l’Est et les gauchistes de l’Ouest. Si les premiers sont prêts à gouverner, les seconds emmenés par Oskar Lafontaine haïssent la social-démocratie et s’y refusent. Ils rendent pour l’instant impossible toute coalition de gauche en Allemagne, qui regrouperait SPD, Verts et Die Linke.

Enfin, la situation serait encore pire si l’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite anti-euro devenu anti-immigrés, abandonnait son credo ultralibéral pour marcher dans les pas de Marine Le Pen : la gauche allemande se verrait siphonner une grande partie de l’électorat populaire.

Le SPD donc s’attaque lucidement à l’échéance de septembre, mais avec quelques atouts. Schulz a une énergie et une combativité puissantes. Il pourra critiquer Angela Merkel, sans se sentir lié par la participation de son parti au gouvernement depuis quatre ans. Et, quoi qu’il arrive, il doit sortir le SPD de la grande coalition pour l’aider à se rénover en faisant une cure d’opposition. Sans subir l’atrophie du Pasok grec ou la dérive gauchiste du Labour britannique. Le pari Schulz mérite d’être tenté.