C’est un des thèmes sur lesquels Benoît Hamon et Manuel Valls se sont opposés mercredi soir lors du débat : la laïcité n’est pas vue de la même manière au sein du Parti socialiste. La laïcité se résume-t-elle à la stricte application des lois, au premier rang desquelles la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat – « la plus belle qui soit » selon Benoît Hamon ? Ou bien doit-elle aller au-delà, au point d’assumer la forme d’un « combat politique », comme le soutient Manuel Valls ?

Notre journaliste Cécile Chambraud, chargée du suivi des religions au Monde, a répondu aux questions des internautes.

Desdichado : Hamon a répété plusieurs fois – en substance – qu’il était favorable à « la loi de 1905, et seulement la loi de 1905 ». Est-ce à dire qu’il pourrait revenir sur les lois de 2010 (voile intégral) et surtout de 2004 (signes religieux à l’école publique) ?

Cécile Chambraud : Benoît Hamon, mercredi lors du débat, a effectivement dit que le régime de la laïcité en France était défini par la loi de 1905 (même si le mot laïcité n’y figure pas). Le candidat à la primaire à gauche a notamment déclaré qu’il était pour « la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 », qui est, selon lui, « une loi de liberté », « une loi complète ».

On ne lui a pas demandé s’il était favorable à une suppression des lois de 2004 et 2010. Il a rappelé qu’à l’époque, il s’était prononcé contre l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. On peut comprendre, à travers ses déclarations, qu’il privilégie une interprétation libérale de la loi de 1905 visant d’abord à garantir la liberté de conscience et de culte.

En revanche, il s’est notamment dissocié de Manuel Valls sur l’idée qu’il pourrait y avoir un combat à mener contre le voile que portent certaines musulmanes.

Benoit : Les politiques ne sacralisent-ils pas la laïcité que lorsqu’il s’agit de l’islam ? Ne serait-ce pas juste un instrument des politiques pour empêcher l’islam d’être trop visible dans la société : à la plage avec le burkini, à la fac avec le voile ?

Il est évident qu’aujourd’hui, les controverses sur la laïcité ne surgissent quasiment qu’à propos de l’islam. Il faut tout de même avoir en mémoire qu’en France, le régime de laïcité s’est d’abord construit contre l’Eglise catholique, qui a été pendant des siècles constitutive du régime politique. Aujourd’hui, l’islam est relativement nouveau dans le paysage français. Il est, à son tour, mis à l’épreuve par le type de laïcité qui a été construit dans ce pays.

Ed : Qu’est-ce qui oppose la position de M. Valls à l’application stricte de la loi de 1905 ?

Manuel Valls est bien entendu partisan de l’application normale de la loi de 1905, mais ce qu’il a dit mercredi, lors du débat, montre que, selon lui, ce n’est pas suffisant pour défendre la laïcité. Selon lui, « la loi est utile » mais en outre, il faut « un combat politique » contre ceux « qui veulent imposer leur ordre qui n’est pas celui de la République ». Il vise ainsi les salafistes et les Frères musulmans.

Djamila : Je ne puis m’empêcher en tant que femme de lier laïcité et féminisme. Peut-on savoir si les candidats ont également fait le lien entre les deux ? De quelle manière ?

Manuel Valls a établi un lien entre laïcité et défense des femmes à plusieurs reprises. « Nous sommes là pour aider » les « jeunes filles qui vivent cet ordre machiste, cette régression », a-t-il dit en parlant de la question du port du voile.

Benoît Hamon, lui, a insisté sur le fait que les femmes qui veulent porter le voile doivent être libres de pouvoir le faire, « peu importe ce que nous pensons » de cette pratique.

JiBé : Les lois actuelles sur la laïcité sont-elles plus orientées comme défendant des libertés (liberté de culte) ou comme imposant des limitations (interdiction de tout signe religieux dans l’espace public) ?

La loi de 1905 a été voulue par ses auteurs, après de longs débats au Parlement, comme une loi de liberté. Son article premier dispose : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. » Et son article 2 oblige l’Etat à la neutralité et à veiller à ce que cette liberté soit effective.

Mat : Que veut dire concrètement « combat politique » dans la bouche de Manuel Valls ? Quelles sont les mesures envisagées ?

Manuel Valls n’a pas détaillé dans son programme de mesures relatives à ce « combat politique », mis à part la rédaction d’une « charte de la laïcité » qu’il veut « adosser » à la Constitution. Mais à l’évidence, son soutien à l’été 2016 aux maires qui avaient pris des arrêtés anti-burkini faisaient partie de ce combat politique.

Lemonde Président : Quelle est la position d’Emmanuel Macron sur la laïcité ? Est-il plus proche des fondateurs de la loi de 1905 ou d’un certain laïcisme ?

Emmanuel Macron est lui aussi partisan d’une approche libérale de la laïcité. Il se montre plus proche de la position de Benoît Hamon que de celle de Manuel Valls. Il est par exemple hostile à une interdiction du voile à l’université.

Pussyhat : Sale mélange des genres entre laïcité et liberté des femmes. Il y a cinquante ans, je n’ai pas pu entrer en t-shirt à bretelles à Saint-Pierre de Rome. Il y a dix ans, une fille n’a pas pu faire le cross en short. Et j’en ai d’autres dans le genre...

Entrer épaules nues à Saint-Pierre de Rome n’est toujours pas possible, je vous le confirme. Mais une tenue correcte, c’est-à-dire assez couverte, est aussi exigée pour les hommes...

Espoing : Pourquoi opposer la loi de 2004 à celle de 1905, comme on le voit parfois, alors qu’elle est justement garante de cette dernière ? L’école accueille des citoyens en devenir dont le libre choix de culte ne saurait être influencé par les encadrants. La situation est bien différente à l’université, qui est le théâtre d’un apprentissage entre adultes.

Votre analyse sur la différence entre l’école et l’université est juste, c’est d’ailleurs sur la nécessaire protection des jeunes en formation que s’est fondée la loi de 2004 pour interdire le port des signes religieux ostentatoires. Mais ce texte a introduit une exception dans la règle née de la loi de 1905 qui voulait que la neutralité ne s’applique qu’à l’Etat et à ses agents, et pas aux usagers. Les enfants des écoles sont donc les seuls usagers du service public à être tenus à la neutralité religieuse.