Depuis l’investiture de Donald Trump, Greisa Martinez sait qu’un couperet risque de tomber d’un jour à l’autre. « Je me réveille, je ne sais pas comment ma vie va changer. » Responsable d’une association de défense des immigrants, elle est l’une des quelque 740 000 « dreamers », de jeunes étrangers qui sont arrivés enfants aux Etats-Unis et n’ont jamais obtenu de papiers d’identité.

En 2012, Barack Obama avait régularisé leur situation par décret. Avant de quitter la Maison Blanche, le 20 janvier, il a mis en garde son successeur contre la tentation de le révoquer. Mercredi 25 janvier, Donald Trump n’a pas directement modifié la situation des « dreamers » dans sa série de mesures sur l’immigration. Mais il a décidé de s’en prendre aux « villes sanctuaires », ce qui pour les jeunes immigrants, revient à s’attaquer à leurs parents.

« Trump dit qu’il ne va expulser que les criminels, mais il lui suffit de déclarer que nos familles sont en infraction. Une attaque contre l’un de nous est une attaque contre tous », dénonce Greisa Martinez, la responsable de l’association United we Dream à Washington.

300 villes et quatre Etats « sanctuaires » aux Etats-Unis

Les villes « sanctuaires » sont quelque trois cents aux Etats-Unis, dans vingt-cinq Etats. Ces localités protègent les immigrants sans papiers en refusant de coopérer avec la police fédérale, qui est l’autorité chargée de l’immigration. Dans ces villes (ou comtés), les agents municipaux ont interdiction de vérifier le statut des habitants au regard de l’immigration. Un policier appelé dans un foyer pour une question de violence domestique, par exemple, n’est pas censé contrôler les titres de séjour.

Les autorités locales estiment que cette mesure permet d’améliorer la confiance de la population dans la police. Les immigrants n’ont pas peur d’inscrire les enfants à l’école ou de signaler les crimes dans leur quartier. Quatre Etats – démocrates – sont entièrement « sanctuarisés » (Californie, Connecticut, Nouveau-Mexique et Colorado). Un choix décidé pour nombre de municipalités sous l’administration Obama pour faire face à l’intensification des expulsions (2,5 millions entre 2009 et 2015). Les maires ont alors ordonné à leurs polices de ne pas servir d’auxiliaires aux forces de l’ordre chargées de l’immigration (ICE), sauf dans le cas d’affaires criminelles.

Pendant sa campagne, Donald Trump a fait de la lutte contre ces « sanctuaires » une priorité. Dès juillet 2015, six mois avant le début de la primaire, il avait saisi le prétexte du meurtre d’une promeneuse à San Francisco par un sans-papiers mexicain, qui avait déjà été expulsé cinq fois des Etats-Unis, pour dénoncer les immigrants qui apportent « la drogue, le crime et les viols ». L’affaire avait entraîné un débat dans la ville californienne sur les excès de prudence et de rétention de l’information dus à la « sanctuarisation ». Au plan national, les collectivités « refuges » ont rejeté depuis 2014 plus de 21 000 demandes de la police de l’immigration de détenir des clandestins accusés de crime ou considérés comme des menaces.

Réduire les subventions aux collectivités qui ne signalent pas les clandestins

Elu président, M. Trump en a fait une promesse d’action pour ses cent premiers jours, à la satisfaction de la base « nativiste » qui en a fait depuis longtemps l’un de ses chevaux de bataille. Mission accomplie : dans son décret présidentiel, il ordonne au département de la sécurité intérieure d’étudier les moyens de réduire les subventions aux collectivités qui ne signalent pas les clandestins aux autorités fédérales. Les militants anti-immigration n’ont pas obtenu en revanche dès mercredi la mise à l’index des « dreamers ».

La priorité a été donnée aux « gens qui posent une menace », a expliqué Sean Spicer. Le sujet n’est que reporté : la Maison Blanche prépare « un plan pour avancer » sur le sujet, a-t-il ajouté. Et « le président comprend l’ampleur du problème. Il a grand cœur ».

Légalement, cependant, rien n’oblige les collectivités locales à consacrer une partie de leur budget « sécurité » à aider les opérations de la police de l’immigration dans les quartiers latinos. Les municipalités, généralement républicaines, qui ont accepté de collaborer, ont dû d’ailleurs conclure au préalable un mémorandum de coopération avec le gouvernement (appelé programme 287G). D’où la menace du président Trump de recourir à l’arme financière.

« Anticonstitutionnel »

Le Congrès avait déjà essayé en 2015 de faire adopter une loi coupant les ressources des villes sanctuaires. Les démocrates avaient pu s’y opposer au Sénat. Cette fois, l’administration Trump dispose de tous les leviers du pouvoir. San Francisco, qui abrite quelque 44 000 sans-papiers, pourrait perdre 1 milliard de dollars sur un budget de 9,6 milliards. Le métro, l’aide aux sans-abri, l’assurance santé des plus pauvres pourraient être affectés.

A New York, où la population sans papiers est estimée à 574 000 personnes, l’aide fédérale s’élève à 6 milliards de dollars, soit 9 % du budget, dont l’essentiel est consacré à l’aide temporaire aux familles dans le besoin. Certaines des municipalités visées ont déjà préparé leur défense : couper les fonds est « anticonstitutionnel », a rétorqué Kevin de Leon, le chef démocrate du sénat de Californie. « A bientôt au tribunal. »

Malgré les menaces, des centaines de collectivités se sont déclarées « sanctuaires » depuis l’élection de M. Trump. Vingt-six villes, de New York à Los Angeles, ont réaffirmé leur engagement à rester « sanctuaire ». Les maires de San Francisco, Seattle, Boston, Santa Fe, Denver, Washington et d’une dizaine d’autres villes ont exprimé leur refus de participer aux éventuelles « déportations » de clandestins. « La dernière chose que nous voulons, c’est nous tourner contre nos voisins », a déclaré le maire de Seattle, Ed Murray.

« Nous ferons tout ce que nous pouvons pour résister »

Le chef de la police de Los Angeles, Charlie Beck, a réaffirmé que ses agents n’entendaient pas se priver des renseignements obtenus dans les quartiers, grâce aux immigrants, en participant à des raids qui leur aliéneraient la communauté hispanique. « J’ai besoin qu’ils travaillent avec leur commissariat de quartier, qu’ils témoignent en cas de crime violent. Jouer le rôle de police de l’immigration déchire ce tissu social. »

Le maire de New York, Bill de Blasio, a même assuré qu’il détruirait la banque de données où sont portés les noms des sans-papiers bénéficiant de cartes d’identité de la ville (qui leur permettent d’ouvrir des comptes bancaires), si l’administration Trump cherchait à s’en emparer. « Nous n’allons pas sacrifier un demi-million de personnes qui vivent parmi nous, a-t-il dit. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour résister. »

Sur les campus, un vaste mouvement de solidarité s’est également mis en place en faveur des « dreamers ». Les étudiants se demandent avec angoisse s’ils doivent tenter de renouveler leur permis venu à expiration, au risque de se signaler aux autorités. S’ils doivent renoncer à leur semestre d’études à l’étranger, sans avoir la certitude de pouvoir revenir. Si les policiers fédéraux ont le droit d’entrer sur les campus, etc. « Il ne faut surtout pas paniquer, essaie de rassurer Greisa Martinez. On a le pouvoir du nombre. On va s’organiser. »