Le secrétaire général adjoint Noureddine Taboubi de l’UGTT (à gauche), à l’ouverture du 23e congrès du syndicat à Tunis, le 22 janvier 2017. | FETHI BELAID / AFP

L’Union générale du travail tunisien (UGTT), syndicat jouant rôle clé dans la vie publique de la Tunisie, devrait poursuivre sa politique de dialogue avec le gouvernement de Youssef Chahed dans un contexte sensible où le pays est confronté à de lourds défis économiques et sociaux. La centrale syndicale, qui a tenu son vingt-troisième congrès du dimanche 22 au mercredi 25 janvier à Gammarth, au nord de Tunis, s’est dotée d’une nouvelle direction s’inscrivant dans la continuité de la précédente, qui avait globalement campé sur une ligne modérée à l’égard de l’Etat.

Le nouveau secrétaire général, Noureddine Taboubi, qui remplace à ce poste Hassine Abassi, est issu du bureau exécutif sortant dont neuf membres (sur treize) ont été reconduits, selon les résultats du vote annoncés jeudi par le porte-parole de l’UGTT.

Forte de 750 000 adhérents – dont 200 000 l’ont ralliée depuis la révolution de 2011 – l’UGTT occupe une place singulière dans la société tunisienne, mêlant vocation politique et activités syndicales.

A l’automne 2013, elle avait pris l’initiative d’un « dialogue national » ayant permis de sauver la transition démocratique tunisienne alors que le conflit entre « modernistes » et islamistes menaçait de faire sombrer le pays dans le chaos.

L’organisation est très étroitement associée aux décisions prises par le premier ministre

Depuis l’été 2016, l’organisation est très étroitement associée aux décisions prises par le premier ministre Youssef Chahed, qui tente de déminer les obstacles sociaux à sa politique de réduction des déficits publics. Alors que la dette publique a atteint le niveau record de 61,2 % du PIB et que la masse salariale des fonctionnaires absorbe la moitié des dépenses de l’Etat, le gouvernement de Tunis est vivement incité à la rigueur par les bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international (FMI).

En décembre, la centrale avait accepté de lever son mot d’ordre d’une grève générale après avoir négocié un compromis sur les modalités d’augmentation de salaires dans la fonction publique.

Considéré comme un « conservateur » pragmatique

Issu de la fédération de l’agriculture, Noureddine Taboubi, le nouveau « patron » de l’UGTT, est considéré comme un « conservateur », que l’aile gauche du syndicat a critiqué pour sa complaisance supposée à l’égard des islamistes. Le parcours de Taboubi au sein de l’organisation, dont il maîtrisait l’appareil jusqu’au congrès en sa qualité de secrétaire général adjoint chargé du règlement intérieur, en fait un pragmatique peu enclin aux ruptures.

La présence au sein du nouveau bureau de représentants de la gauche – tels Hfaïedh Hfaïedh, Sami Tahri ou Naïma Hammami – souligne néanmoins qu’il sera sous haute surveillance de la part de ceux qui ne veulent pas pousser trop loin la conciliation avec le pouvoir. « Nous ne pourrons accepter des privatisations dans des secteurs stratégiques, tels que le phosphate, l’eau ou l’électricité », avertit un congressiste affilié à cette aile gauche qui soupçonne le gouvernement de vouloir privatiser « au compte-gouttes », ajoutant :

« Il y aura une continuité entre la nouvelle et l’ancienne direction, mais les figures de la gauche dans le bureau exécutif se poseront en garantes contre le risque d’une dérive droitière du syndicat. »

Selon Baccar Gehrib, doyen de la faculté des sciences juridiques et économiques de Jendouba (nord-ouest) et ancien cadre syndical UGTT, le rôle politique que le syndicat a assumé dans les périodes critiques de l’histoire nationale devrait le conduire à encourager un « compromis historique permettant de sauver le pays de la faillite ». A condition toutefois, précise-t-il, que les « sacrifices soient partagés par tous et pas seulement exigés des salariés ».

L’une des anomalies du système fiscal tunisien tient en effet dans la sous-imposition des professions libérales. Le gouvernement de M. Chahed, qui a tenté de mettre celles-ci davantage à contribution, a dû composer avec les vives résistances des avocats et des médecins.

Le défi de la démocratie participative

Parmi les multiples défis qui attendent l’UGTT dans le contexte de la transition tunisienne, riche en revendications multiples, figure l’exigence de la démocratie participative.

Alors que le poids croissant des fédérations sectorielles met déjà sous pression la structure pyramidale de l’autorité dans l’organisation, la sous-représentation des femmes dans les instances dirigeantes a suscité d’âpres controverses lors du congrès de Gammarth.

Aucune femme ne figurait par exemple dans le bureau exécutif sortant. Les congressistes ont finalement amendé le règlement intérieur pour imposer un quota de deux femmes (au moins) dans les différentes instances exécutives du syndicat. Si de nombreux congressistes se félicitent d’un tel « progrès historique », les organisations féministes le jugent encore très insuffisant, comme en témoigne Monia Ben Jemia, la présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) :

« Nous exigeons la parité. Les femmes représentent la moitié des effectifs de l’UGTT, elles ont fait la force du syndicat. Il n’y a aucune raison qu’elles soient écartées de la prise de décision. »

La transition tunisienne bouscule bien des institutions historiques, y compris celles – telle l’UGTT – qui s’enorgueillissent de leur « progressisme ».