Sa petite tête sort discrètement entre les bouteilles de rhum posées sur le comptoir. Puis, d’un pas agile et silencieux, le lémurien s’avance en portant sur son dos son bébé solidement agrippé. Deux autres primates le suivent et déambulent entre les tables pour tenter de chiper aux clients amusés quelques morceaux de pain. La scène se déroule, chaque matin à l’heure du petit déjeuner, dans la réserve de Berenty, à 80 km de Fort-Dauphin. Dans ce sanctuaire du sud-est de Madagascar, près de 3 000 lémuriens parcourent en toute liberté les 1 200 hectares d’espaces protégés. En se promenant sur les pistes de sable qui traversent cet immense havre de paix qui compte un lodge mais aussi une école et un dispensaire, on peut croiser des dizaines de tortues, quelques reptiles et des milliers d’oiseaux.

« Ici, ils sont protégés »

Créée en 1936 par Henri-Alain De Heaulme, la réserve de Berenty est ouverte au public ainsi qu’à de nombreux scientifiques depuis 1981. « Ici, les lémuriens sont protégés, explique Philippe De Heaulme, responsable au sein du domaine de l’exploitation de sisal, une plante destinée à la fabrication des cordages. L’idée de mon grand-père fut de préserver une partie de la forêt afin de conserver l’habitat des lémuriens et ne pas tout sacrifier à la production du sisal, principale source de revenus des habitants de la vallée du fleuve Mandrare. Dans la réserve de Berenty, près de quatre-vingts personnes ont été formées pour sécuriser l’environnement des lémuriens et les protéger. »

Or partout à Madagascar, les lémuriens sont menacés par la déforestation. Dans cette région pauvre du sud de la Grande Ile, ils le sont également par la chasse, car la famine qui sévit met en péril actuellement 1,4 million de personnes. A cause du manque de pluie causé par le phénomène météorologique El Nino, près de 850 000 habitants de la région d’Amboasary sont en situation de grave insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’elles ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins nutritifs de base.

Déforestation et famine

La menace qui pèse sur les lémuriens est donc bien réelle. La plupart survivent aujourd’hui grâce à des structures privées comme le domaine de Berenty ou Lemur’s Park, un domaine situé à 25 km au sud d’Antananarivo. D’après les ONG de protection de la faune sauvage, la survie de dizaines d’expèces de lémuriens, dont la population est inférieure à 10 000 individus, n’est plus assurée. Selon le Fonds mondial de la nature (WWF), 94 % des espèces de ce primate endémique à Madagascar sont menacées d’extinction.

Parmi les espèces de lémuriens les plus représentées à Berenty, il y a le Maki catta. Véritable icône de l’île de l’océan Indien, on compte près de 1 300 de ces primates, reconnaissables à leur queue rayée noir et blanc, à l’intérieur de la réserve. Au détour d’un virage, on peut aussi croiser des propithèques de Verreaux, ou sifaka, ces « lémuriens danseurs » qui se déplacent avec souplesse et souvent en groupe en effectuant des pas chassés.

« La mission de nos gardiens est de participer au recensement des espèces en plus des comptages effectués par les scientifiques que nous recevons », explique Philippe De Heaulme. Les gardiens du domaine de Berenty proposent souvent aux visiteurs des promenades dès la tombée de la nuit pour observer à la lampe torche les trois espèces nocturnes de lémuriens. Entendre leurs cris stridents se répondre ou s’entremêler sous un ciel constellé d’étoiles est une expérience à vivre.